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Ainsi Rolande se donnait à elle-même l’absolution qu’elle refusait à tout le monde. Sa démarche se fit plus ferme, plus souple. Sa taille se cambra. Faute de public, elle se donnait en spectacle aux haies lourdes de mûres noires, aux chaumes rugueux, aux prairies qui la regardaient à travers les barreaux des clôtures, à la rivière fureteuse. Lorsqu’elle parvint à Saint-Chartier, elle continua de faire la roue pour un groupe de gamins, casquette au front, déjà bons appréciateurs de jolies filles ; pour le charron, qui resta un instant le marteau levé, tandis que le cheval qu’il avait à ferrer hennissait d’impatience ; pour la mercière, qui sans gêne ôta ses lunettes, pour mieux juger la coupe de sa robe et sa façon de marcher.

Elle était au beau milieu de la rue quand elle vit s’avancer, à sa rencontre, Étienne, à bicyclette. Sous le regard des gens du bourg, ils ne pouvaient pas s’éviter. Étienne, dès qu’il l’aperçut, à quelques pas de lui, « freina » et descendit pour lui serrer la main.

Ils ne trouvaient rien à se dire, pas même de ces paroles banales qui partent toutes seules quand on a peur du silence. Étienne avait eu, vers sa cousine, un regard si ouvert et si grave ! Rolande avait serré la main d’Étienne avec une sympathie si spontanée que tous les deux restaient étonnés de se comprendre ainsi, tout à coup. Parce qu’ils s’étaient ignorés jusqu’à ce jour, ils avaient été plusieurs fois injustes l’un vis-à-vis de l’autre. Rolande n’était pas la simple poupée frivole qu’Étienne imaginait. Étienne n’était pas non plus tout d’une pièce, et la faculté de souffrir discrètement, que Rolande lui reconnaissait, à cet instant, le mettait en marge de la catégorie des rustres où elle l’avait rangé trop vite. Ce ne fut sans doute qu’une lueur, qu’un moment lucide, ils se sentirent très loin l’un de l’autre, sans doute, avec des aspirations presque opposées, mais malgré tout, de la même race honnête et saine. Il suffit parfois d’un regard et d’une poignée de main pour éclairer deux consciences. Rolande et Étienne n’eurent pas besoin de s’interroger ; ils se chargèrent mutuellement d’amitiés pour leurs parens et ils se séparèrent, réconfortés tous deux par cette rencontre fortuite.

La petite crise de pessimisme que venait de traverser Rolande s’évanouit à la vue d’Étienne et de sa vraie souffrance, noblement portée. Et son cousin sourit en songeant que si