Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Bien entendu. Le baron a été appelé en consultation. Il est ravi de voir les Jérôme s’installer dans le pays.

— Les Jérôme ?

— Mais oui, tous.

— Alors, cette maison ?

— Énorme. Conçue pour deux ménages… au moins… Tout le monde a l’air d’oublier Paris…

— On voit qu’il fait beau. Vienne l’automne, et nos oiseaux trop vite apprivoisés s’envoleront vers d’autres rivages.

Gabriel Baroney ne savait plus trop que penser de son œuvre de transplantation. Lorsqu’il avait engagé son frère à venir se reposer à Saint-Chartier de tous ses travaux parisiens, il s’était dit naïvement que Jérôme, libéré de ses multiples besognes, reprendrait la direction de son foyer. Mais il n’en devait rien être. On ne se fait pas impunément, pendant vingt ans, l’esclave de son métier. Jérôme ne voyait qu’à travers l’architecture, ce qui changeait la couleur du monde plus encore que ses lunettes bleues. Que lui importait l’avenir précis de sa famille ? Il avait une maison à construire, et pour lui-même !

— Mais enfin, dit Gabriel à son fils Paul, Rolande ne doit pas, elle, être fort enthousiasmée de cette décision.

Paul sourit. Il avait peur de trahir sa belle cousine. Il eut un geste vague :

— Rolande n’en fait qu’à sa tète. Si elle veut bien rester provisoirement dans le pays, c’est qu’elle y trouve son compte.

Le jeune sous-officier gardait pour lui certain épisode lyrico-comique qui l’avait bien renseigné sur les intentions de sa brillante cousine. C’était sur le chemin d’Épirange, au retour d’une amusante et fructueuse chasse au rabat. Paul Baroney, bon tireur, avait reçu des complimens. Tout émoustillé, il marchait aux côtés de Rolande, et ses propos cavaliers prirent peu à peu la forme d’une véritable déclaration. La jeune fille, le fusil en bandoulière, un doigt passé dans la ceinture de son costume trotteur, le laissa parler quelques instans, flattée de cette impétuosité militaire, puis, quand il eut terminé, elle s’arrêta, et, les yeux fixés sur les yeux du jeune homme, elle répondit :

— Mon cher Paul, vous perdez votre temps. Nous ne sommes plus des collégiens pour cousiner de la sorte ! Je vous ai trouvé joli garçon et je vous l’ai dit ; vous me trouvez à votre goût et vous ne me le cachez pas. C’est parfait. Mais, halte-là ! J’ai vingt