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toute association humaine est la famille ; la famille a elle-même un triple fondement : l’obéissance respectueuse des enfans pour leurs parens et de la femme pour son mari, l’affection du père pour ses enfans, du mari pour sa femme, le culte que tous rendent en commun aux ancêtres. Par ce rescrit, l’empereur avait véritablement mis fin à l’œuvre destructive de la Révolution et donné un fondement solide a l’œuvre de reconstruction. Mutsuhito jugea cependant nécessaire d’aller plus loin. C’est la prétention des philosophes de la Chine et du Japon que dans leur pays la morale a toujours été indépendante d’une obligation divine et d’une sanction dans une autre vie, et les révolutionnaires japonais s’étaient proposé comme l’un de leurs buts les plus importans de détruire dans le peuple toute idée religieuse. Mutsuhito voulut réagir contre ces tendances, réveiller le sentiment de l’idéal et la foi en une aide surnaturelle. Pour y réussir, il s’inspira du shinto, du confucianisme et surtout de ses propres sentimens ; ce qu’il voulut instituer, c’est le culte de la patrie divinisée dans tous ses morts, d’abord les ancêtres du peuple entier, qui sont honorés collectivement ; puis les grands hommes et les soldats tués à la guerre, qui sont honorés individuellement ; enfin, et surtout les ancêtres impériaux, qui reçoivent les honneurs suprêmes comme les représentans par excellence de la race et du pays. Cette religion, sortie du cœur même de Mutsuhito, ni ses ministres, ni son peuple ne paraissent l’avoir comprise. Ses ministres n’y ont vu qu’un culte civique, tout de forme comme les cérémonies du confucianisme chinois ; pour le peuple, sa dévotion est allée à Mutsuhito lui-même ; en 1891, on se mit à honorer ses images : dans le tremblement de terre de San Francisco, les coolies japonais abandonnaient le peu qu’ils possédaient pour les arracher aux flammes ; récemment un instituteur, dont l’école avait pris feu, agit de même avant de s’occuper de ses élèves ; le recteur de l’Université l’ayant réprimandé, l’indignation publique fut telle que le recteur dut démisionner. Mutsuhito acceptait ses hommages parce qu’il ne les considérait pas comme adressés à sa personne, mais à sa fonction, qui était d’unir les vivans et les morts en transmettant aux morts les prières des vivans, aux vivans les ordres des morts exprimés dans l’histoire et dans la tradition. Cette foi inspire le serment qu’il prononça le jour où il promulga la Constitution :