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s’emparer de lui comme d’un otage. Le shogun Keiki avait obtenu de l’empereur mourant qu’il lui confiât la garde du jeune souverain ; bientôt pressé par le mouvement qui emportait le pays, effrayé des progrès que faisaient les clans du Sud-Ouest, il crut plus sage d’abdiquer son titre de shogun et de prendre celui de régent (octobre 1867). Inutile concession. Le 3 janvier 1868, les révolutionnaires se saisissent par surprise du gosho. À côté des nobles de cour, dont l’un, Iwakura, se rallie ouvertement à la Révolution, à côté des daimio du Sud-Ouest, ils sont tous là, ces hommes qui, depuis dix ans, ont ourdi tant de complots, fomenté tant de révoltes, suscité ou laissé commettre tant de crimes : Saigo de Satsuma, géant brutal et borné, follement brave, superbement chevaleresque, l’idole de la foule ; Okubo, lui aussi de Satsuma, fin et cultivé, d’une intelligence hors ligne, de nobles instincts, capable de faire de grandes choses, mais ayant perdu au cours de dix ans de conspirations beaucoup de son sens moral et toute sa franchise ; Kido, de Choshu, aventurier ayant fait tous les métiers, pris part à toutes les insurrections, même à l’assaut du palais impérial, la figure d’un gamin, les manières du plus bas peuple, avec des yeux qui révèlent son génie, le plus grand de ces hommes, le plus modéré aussi et le plus honnête ; Okuma, de Hizen, adroit, inventif, plein de ressources, orateur méridional, dont l’éloquence intempérée devance toujours la pensée quand elle ne la supplée pas ; Itagaki, de Tosa, le dictateur redouté de l’ile de Shikoku, démagogue aux formules creuses, naïf d’ailleurs, le jouet de ses alliés. Combien d’autres encore, plus dangereux que leurs chefs et plus coupables ! Malgré la présence du jeune souverain, dont l’impassible visage cache les étonnemens, les dégoûts, même les craintes, ces hommes, qui n’ont rien de commun que leur haine du passé, se contredisent, s’insultent, se menacent. Iwakura, dépouillant enfin l’indifférence hypocrite, qu’il a montrée depuis dix ans, s’abandonne aux emportemens de son caractère hautain et passionné, il tire son poignard, menaçant d’en frapper ses adversaires, puis de s’en frapper lui-même. Les plus violens l’emportent ; on rédige un décret où sont supprimées toutes les institutions politiques du Japon, aussi bien celles dont le souvenir s’est conservé au gosho que celles qu’a fondées le shogunat ; devant l’enfant pâle et muet, qu’on feint d’adorer, on saisit le sceau impérial, on en