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dont il ne souffrira pas la présence dans le voisinage de son palais, il se soucie peu que le shogun leur permette de s’établir aux portes de Yedo. Dans l’âme de l’enfant, qui sera le grand empereur, nait au contraire cette fièvre patriotique qui lui fait ressentir toutes les angoisses de son peuple, lui fait considérer la moindre parcelle du sol national comme aussi sacrée que son palais ; il ne peut en même temps avoir pour les étrangers la haine de son père ; quand il voit leurs fusils, leurs montres, leurs instrumens de physique, il se demande le secret de leur génie mystérieux.

Déjà la déception, la rancœur qu’a produites l’abandon de la guerre sainte a laissé le champ libre aux révolutionnaires. Les samurai des clans établis à Kioto ont perdu toute discipline, leurs cris parviennent jusqu’au palais ; la nuit, le jeune prince voit des feux s’allumer au sommet des montagnes ; ce sont les ronin, les samurai chassés de leurs clans, les kiheitai, les révolutionnaires sortis de toutes les classes et de toutes les provinces, qui échangent des signaux avec les conspirateurs de Kioto. Peu à peu ils se risquent dans la ville, ils la remplissent bientôt, ils s’en rendent les maîtres, y imposent la Révolution : leur comité de salut public abolit toutes les lois, supprime les distinctions de classe, fixe les salaires et le prix des alimens. Pour chaque contravention la mort. Chez ces hommes, ivres d’alcool, ivres d’excitations de toutes sortes, c’est la folie du meurtre ; sans cesse ils voient rouge, tirent leurs sabres, frappent au hasard, un être vivant ou une statue, un noble ou un serf, un homme ou une bête. Alors Komei se repent de s’être allié aux clans partisans de la Révolution, surtout à Choshu, qui a permis aux kiheitai d’envahir sa capitale ; il traite en secret avec le shogun et les clans qui lui sont restés favorables ; ceux-ci dissimulent leurs troupes dans la banlieue, puis un matin ils saisissent par surprise les portes du gosho ; l’empereur somme Choshu de se retirer ; après quelques heures d’hésitation, Choshu obéit ; les kiheitai le suivent dans sa retraite. Kioto est délivré de la Terreur (30 septembre 1863).

L’année suivante, Choshu et les révolutionnaires reviennent en force, assiègent Kioto, veulent emmener l’empereur prisonnier. Celui-ci a confié la garde du palais au shogun et aux clans ralliés. Dans la nuit du 19 au 20 août 1864, les révolutionnaires se glissent dans la ville ; au lever du jour ils atta-