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on l’aime parce qu’il a imite le héros du roman à la mode dans une aventure quelconque. Les femmes littéraires, en disant : « Je vous aime, » pensent toujours à un auteur en vogue. Toutes les faiblesses de ces femmes ont un prétexte littéraire ; il n’est pas une de leurs fautes qui n’ait un précédent dans la littérature. Jeunes soupirans, ne perdez pas vos jours en vœux naïfs. Voulez-vous être aimés, entrez dans un cabinet de lecture, et copiez la page décisive de l’ouvrage que vous entendez citer. Elle attend la dernière période pour être attendrie ; votre bonheur est au verso de la page ; vous n’aurez pas soupiré, je veux dire vous n’aurez pas copié en vain. »

Et pour Mme de Girardin, Mme Roland n’est autre chose qu’une femme faite avec un seul livre, c’est à savoir la Nouvelle Héloïse. Elle a été démocrate, elle a dédaigné Saint-Preux, elle a épousé Wolmar, le tout pour s’appeler Julie. La page, quoique furieusement injuste, n’est pas sans un grain de vérité ; et il est certain que vouloir s’appeler Julie, j’entends vouloir s’appeler soi-même Julie et se dire du matin au soir : « Sois Julie, » cela peut mener assez loin.

Tout de même, il y a bien du vrai, avec un peu et si vous voulez beaucoup de parti-pris dans son portrait général de « la Française. » Pour Mme de Girardin (comme pour Stendhal ; mais je ne crois pas qu’il y ait réminiscence), les Françaises n’ont pas de passions féminines. Elles sont ambitieuses, « l’ambition est toute leur vie ; avoir de l’importance, c’est tout leur rêve. L’amour n’est pour elles qu’un succès : être aimée, c’est seulement prouver qu’on est aimable. » Plus une Française est jeune, plus elle est ambitieuse et intéressée. « Une Française n’a pas une pensée généreuse avant trente ans. A cet âge elle s’interroge, se demande si elles n’a pas fait fausse route, et quelquefois découvre la vanité des vanités ; mais vite elle retombe dans la vérité de son caractère… » De là, de cette volonté tendue par l’éternelle passion ambitieuse, l’empire des femmes de France sur leurs maris ou sur leurs amis : « Il n’y a pas un homme à Paris, en province, qui n’agisse par la volonté de sa femme. Presque tous les actes de nos hommes politiques répondent à des noms de femmes. A Paris, tous les gens importans sont menés par une intrigante de leur société. En province, l’influence est légitime. Nous avons habité pendant six mois une petite ville de Touraine. Tous les maris étaient menés par