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On a déjà vu que c’est comme moraliste qu’incontestablement elle a toute sa profondeur et tout son élan. En ce domaine, toutes ses remarques sont intéressantes et judicieuses et beaucoup sont très neuves et beaucoup vont très loin. Elle observe que les vertus sont soumises à la mode, comme les casaquins, et qu’il faut savoir la vertu que l’on porte cette saison : « comme les habits, les vertus subissent la mode ; cela ferait croire qu’elles ne sont que des parures. »

Elle compare bien spirituellement les préjugés à des lunettes, et il y a des gens qu’elle évite pour n’être pas vus d’eux à travers leurs préjugés, comme cette dame qui fuyait un homme, charmant du reste, mais qui avait des lunettes bleues : « J’en ai peur. Je ne veux pas qu’il me voie. Il me voit bleue. Je ne puis pas souffrir cela. »

Elle a de bien jolies observations sur le caractère anglais et particulièrement sur celui des femmes anglaises : « Mme de Flahaut a choisi la carrière politique comme celle qui convenait le mieux à son activité ; ce n’est pas chez elle une vocation, c’est une résolution. En général, les moindres actions d’une Anglaise sont l’effet d’une résolution. Les Anglaises ne connaissent pas les entraînemens de la nonchalance ou de la rivalité française ; elles ne font pas une chose plutôt qu’une autre indifféremment ; tout chez elles est l’œuvre d’une décision : leur manière de marcher, d’aimer et de prier. Elles ne désirent jamais ; elles veulent ; elles ne se promènent pas, elles marchent parce qu’elles ont résolu de marcher ; elles vont tout droit… à rien ; elles partent pour aller… nulle part ; mais n’importe, elles sont décidées ; elles y arriveront et leur manière de marcher semble dire : « Je n’irai certainement pas ailleurs. » Chez elles tout est volontaire, tout marque un parti pris, un effort, des préparatifs comme pour un voyage ; elles s’embarquent pour toutes choses. Cela tient peut-être à leur ile, dont on ne peut sortir par hasard ou par distraction, qu’on ne peut quitter qu’avec une ferme résolution, qu’on ne peut laisser qu’avec la ferme résolution de passer sur le continent. Cet esprit résolu, qui manque de grâce lorsqu’il s’applique aux choses légères et indifférentes, est d’une grande valeur appliqué à des intérêts plus graves. »

Comme La Rochefoucauld avait dit : « Les vieillards se consolent, par donner de bons conseils, de ne plus pouvoir donner de mauvais exemples, » elle explique très bien pourquoi