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Grande coquette : elle détache de son bouquet une branche de bruyère et la donne avec un doux sourire à un vieux monsieur. Mère sensible : elle court embrasser une petite fille qu’une bonne mère aurait envoyer se coucher à neuf heures… Il faut que leur salon soit un théâtre, »

D’autres très grandes dames sont nées courtisanes. Leur excellente éducation les a préservées de tout écart. Mais, par une pente naturelle… Voyez celle-ci : « Elle aime le bruit, l’agitation, le désordre et même un peu le scandale. Elle s’habille d’une manière inconvenante ; elle fait événement partout. Elle a horreur du repos ; au théâtre elle change de place à chaque moment ; elle va boire dans le foyer ; elle affecte des peurs enfantines ; elle pousse des cris aigus pour le moindre incident… Dans le salon de ces femmes rien ne se passe d’une façon convenable. On n’y parle pas d’une façon convenable. On n’y sent pas le besoin de s’observer, de se contraindre et de se surveiller. La société n’y est pas une réunion générale, c’est une collection de tête à tête… On y respire un parfum de mauvaise compagnie qui est piquant par le contraste ; car le bel hôtel de cette grande dame ressemble à une petite maison. »

Il y a de très grandes dames qui sont nées portières et qui se maintiennent portières dans les situations les plus élevées. Chez elles, tous les jours, chacun, en passant, va raconter sa petite anecdote et déposer sa fausse nouvelle… Elles savent, à ne jamais s’y tromper, la fortune de chacun. Les N… ne sont pas si riches que l’on croit ; les D… sont beaucoup moins pauvres qu’ils ne le disent. Cette jeune fille a un amour dans le cœur. Cette autre ne se mariera pas, à cause de sa mère… Voilà ce qu’on dit chez ces femmes-là. Leur magnifique salon est une loge.

Il y a d’autres femmes, très puissantes par leur situation et par leur fortune, qui sont nées suivantes, dames d’honneur, dames de la reine, et qui ne peuvent pas être autre chose « et qui trouvent toujours le moyen d’être à la suite d’une autre femme quelquefois placée bien au-dessous d’elle. Ces femmes ont des instincts d’esclave et des qualités de confidentes. Ce sont des Œnones qui finissent toujours par se procurer une Phèdre et qui la composeraient même au besoin… Quelle que soit leur fortune, tout chez elle se ressent de leur état de domesticité. On va les voir un moment aux heures où la princesse n’est pas visible.