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Et aussi pas d’autre puissance. Le ministère ecclésiastique n’est qu’une fonction chargée de publier, d’enseigner l’Écriture aux hommes. Au Maître seul le droit d’imposer les lois qui lient la conscience. Nul en son nom ne peut les modifier, les restreindre, ou les étendre. « Si nous permettons qu’on change une seule constitution du Christ, nous rendons vaines toutes ses lois : une seule supprimée dans l’Écriture, supprime toutes les autres… Le Christ ne veut pas que l’on transgresse de sa doctrine le plus petit détail. » Et encore : « Nul n’est tenu au delà de l’Évangile… » L’Église ne peut décréter « une syllabe » sur les fidèles sans leur consentement. Elle ne peut contraindre, sous peine de péché, à l’observation des lois ecclésiastiques. « Nous chrétiens, sommes libres de tous. » — Transposez ces formules dans les faits ! Le principe scripturaire achève l’œuvre de destruction commencée par le principe fidéiste. Et c’est au nom de la liberté chrétienne comme de l’Évangile que Luther renversera presque toute la discipline ecclésiastique : décrétales, canons, vœux, célibat, observances, cérémonies même, et la plus auguste de toutes, la messe. La réforme du culte tient déjà dans cette affirmation. Tout imprégné encore du parfum des premières croyances et de ses religieuses émotions, le grand révolté peut se refuser à proscrire tout rite extérieur et tout vestige du passé ; d’autres iront plus loin, qui dans le temple, nu et froid, dépouillé de « l’idolâtrie » des images ou des autels, ne laisseront ouvert que le Livre où se lit la Parole de l’Éternel.


V


Le 15 juin 1520, la bulle Exsurge Domine condamnait Luther.

Le voici hors de l’Église, déchirant pour longtemps, sinon pour toujours, la tunique du Christ. Car l’ébranlement est immense : jamais depuis quatre siècles la société chrétienne n’a été si profondément remuée. Humanistes épris de nouveautés, croyans avides de réformes, petits seigneurs prêts à piller les biens des prêtres, paysans ou artisans enflammés par ces mots de liberté chrétienne, toutes ces ambitions, ces curiosités, ces haines, ces enthousiasmes, se retrouvent et fraternisent derrière l’homme prodigieux qui appelle le monde à la grâce et au salut. Il est un apôtre, un prophète, Daniel, Paul ou Moïse. Il ouvre une ère nouvelle. Il retrouve l’Évangile ; sa