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Elle était celle des mystiques comme de l’humanisme, et on ne peut s’étonner que, sous l’empire de ses idées religieuses, il s’en soit pénétré. Mais humanistes ou mystiques s’étaient arrêtés à une distinction, sans pousser à l’antithèse. Luther dépassera vite cette attitude intellectuelle. Dès 1513, contre l’Église extérieure et légale, les leçons sur les Psaumes marquent une réaction. Celle-ci s’accuse dans les Commentaires sur l’Épître aux Romains, protestation acerbe, souvent injuste, contre l’autoritarisme religieux, les formes juridiques du pouvoir spirituel, la confusion du ministère et du gouvernement, du conseil et de la contrainte. Après 1517, nous n’en serons plus seulement aux contrastes, mais aux contraires. Sous la poussée des faits tout autant que sous celle de sa doctrine, Luther ne va plus seulement distinguer les deux Églises, mais les opposer.

Ce devait être une des conséquences de la querelle des indulgences, non seulement de rendre publiques et populaires les doctrines de Wittemberg, mais de donner aux aspirations réformatrices un chef et de mettre au premier plan la question de l’autorité. À Luther, qu’opposaient ses premiers contradicteurs ? L’enseignement de l’Église. Attaquer l’indulgence était se mettre en révolte contre le pouvoir ecclésiastique. Menace à peine déguisée qui entraîne le théologien à répondre par la question : Ce pouvoir ecclésiastique, qu’est-il donc ? L’Église extérieure et légale peut-elle connaître des choses de l’âme ? — Non. Elle ne le peut. « Le pouvoir des clefs ne s’exerce que sur le dehors. » — Ébauchée déjà dans les thèses de 1517, la doctrine va prendre un singulier éclat dans le sermon du 16 mai 1518, sur la vertu de l’excommunication. « Le prêtre, y lisons-nous, peut retrancher de la communion extérieure, corporelle, celle du culte et des sacremens, qui unit, au dehors, les membres de l’Église. Il ne peut priver de cette communion spirituelle, celle de la foi, de l’espérance, de la charité qui unit à Dieu. » Il écrira presque en même temps : « Une censure de l’Église ne retranche point de l’Église ceux qu’y rattache la vérité. » Affirmation hardie, celle de Wycleff et de Huss, qui n’est rien moins que la négation du « for intérieur, » du « droit de lier et délier les âmes. » Elle ne va point tarder à se préciser dans le duel qui s’engage avec la papauté.

Dès le mois de mai 1518, et en prévision d’une condamnation, Luther avait pris ses sûretés, cherchant, dans les théories