Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

salut. Mais cette notion de la foi a d’autres conséquences. Ce qu’elle ébranle encore, c’est la vertu sociale du christianisme, cet ensemble de croyances, d’institutions, ces formes de vie chrétienne que la théologie des œuvres a constituée.

Quelque effort, en effet, que fasse Luther pour se soustraire aux applications de son dogme, quelque hésitation qu’il montre à les formuler, il faut bien aller au bout. Sur l’idée de notre valeur morale et de notre puissance au bien, l’Église avait créé l’admirable entraînement qui nous exerce à la vertu, l’étroite communion qui nous unit aux âmes. Elle nous avait appelés à réparer dans notre repentir, à mériter par nos actes. Et de toutes les miettes de nos mérites, trop abondans parfois pour nous-mêmes, s’était formée comme la réserve des plus pauvres, des déshérités de la prière et de la vertu. Ainsi la réversibilité avait créé le culte des saints et le culte des morts, le patrimoine qui, formé d’abord par la valeur infinie du Christ, s’était par Lui, en Lui, enrichi de toutes les valeurs surérogatoires de l’humanité. Mais, si seule la foi nous sauve, si nos œuvres ne peuvent rien pour nous comme pour les autres, à quoi bon ? Secours extérieurs et humains qu’il faut encore détruire ! — En 1517, Luther a limité, puis rejeté la valeur des indulgences. En 1519, ce sont les œuvres satisfactoires qu’il élimine de la pénitence ; bientôt c’est le purgatoire qui va disparaître du dogme. Et puisque la foi seule importe dans les sacremens, qu’elle-même est le seul sacrement, c’est encore toute la doctrine sacramentaire qui s’écroule. Les seuls qu’il garde, le baptême et la cène, ne sont plus des moyens, mais des signes de notre justification. Dès 1520, Luther commence à attaquer les vœux monastiques, le célibat des prêtres, les observances, les fondations pieuses, les confréries. Il peut encore admettre l’invocation des saints et la prière pour les morts. Derniers vestiges d ’« idolâtrie » qui tomberont après la rupture ! Plus d’intermédiaires entre Dieu et l’âme. Il n’y a devant Dieu que des consciences individuelles, serves du péché ou serves de la grâce.

Christianisme pur, enfin dégagé de tout alliage humain ! Et, assurément, dans cette logique rigoureuse de la foi, plus de place pour nos moyens personnels de salut. L’homme cesse d’être une cause. Nulles conditions à la grâce. Elle redevient une liberté, une libéralité pure, descendant, à son heure et à