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nos failles, nous sommes purs. Superbes, qui nous endorment dans une fausse justice ! La faute est remise « non pour qu’elle ne soit plus, mais ne soit plus imputée. » Nous naissons, nous vivons, nous mourons corrompus. Ainsi, dans l’homme point d’inclination naturelle vers le vrai ou vers le bien. Tous les avantages dont il se pare, « depuis ceux du dehors jusqu’aux vertus morales, jusqu’à la connaissance même de Dieu, affirme dans ses propriétés divines, » portent le germe de cette idolâtrie qui infecte ce qu’il pense et ce qu’il fait. Sa raison ne peut atteindre Dieu, ni le souverain Bien, ni la Béatitude. Philosophie et sciences humaines peuvent-elles donc entrevoir le mystère de l’infini ? Elles sont « à bout de souffle. » La volonté ne peut créer le bien. Viciée elle-même dans sa source, comment produirait-elle des actes purs ? Plaisante prétention que la vertu des Régulus ! « Les plus sages, les plus justes de l’antiquité n’ont pu être justes, car ils ne pouvaient s’empêcher de se complaire en eux-mêmes. » Pas de vertus morales. Nos œuvres les meilleures, en elles-mêmes, sont « des péchés. » Dieu seul les rend bonnes, les réputant telles… Et comme un cri de triomphe s’échappe des lèvres du théologien cette dernière malédiction : « Où est maintenant le libre arbitre ?… Où sont-ils ceux qui affirment que par nos facultés naturelles nous pouvons aimer Dieu par-dessus tout. Comme s’il nous était permis de vouloir, de pouvoir quelque chose ! » Sur tes ruines de notre raison et de notre justice tombe la dernière idole que l’homme a érigée de lui-même : la liberté.

Nous sommes au cœur du système luthérien. Luther avait pu trouver dans la théologie antérieure quelques-unes des idées qu’il fait siennes. Et, par exemple, le catholicisme avait déjà formulé la doctrine de la justice de Dieu qui « justifie par la foi sans les œuvres de la Loi. » Ce qui lui est propre, c’est la notion de la nature et du péché. Voilà en quelque sorte le dogme spécifique, la pierre d’angle de son système, celle qui appelle tout l’édifice et en détermine la structure et le plan.

Nous pouvons saisir, en effet, quel lien intime et étroit va souder à sa doctrine du péché celle de la justification, de la foi et des œuvres. — Si la nature est mauvaise, incapable, par elle-même, de bien, l’accomplissement de la loi divine est au-dessus de nos forces ? — Cela est vrai. — Le christianisme alors serait-il donc une doctrine de découragement et de désespoir ? — Mais