Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par deux siècles de schismes et de guerres. — Mais au dedans, quels contrastes ! De sa cellule, il a pu entendre d’abord l’écho des controverses qui troublent son ordre, où lui-même devra prendre parti, les premières révoltes de ceux qui, fiers de leur observance étroite, de l’ascétisme légal, prétendent se soustraire à l’autorité de son Père, Staupitz. Au delà, une chrétienté divisée, livrée aux convoitises des princes ou aux antagonismes des peuples, une Église encore corrompue par le désordre ou la grossièreté des mœurs, trop de prêtres sans vocation et sans idéal, enlizés dans la recherche des biens temporels, et dont le chef belliqueux ressemble plus à un monarque qu’à un apôtre, les consciences assoupies dans la quiétude des petites dévotions et sevrées de l’aliment nécessaire, l’Évangile, l’Évangile lui-même défiguré par l’École, la religion par les « théologiens ; » et, pour répondre aux griefs qui s’aggravent, à l’incrédulité qui monte, au naturalisme qui se répand, des demi-mesures, des réformes incomplètes, encore plus décrétées qu’appliquées… Comme beaucoup, il s’étonne et il s’inquiète. Cette sécurité lui parait le plus grand péril de l’Église, « sa dernière et redoutable persécution. » — Et alors se pose la question pleine d’angoisse : Comment, avec tous ces moyens, par tous ces moyens, l’idéal chrétien n’a-t-il pu dominer la vie publique, rétablir la paix, faire régner le Christ parmi les hommes ? Ne serait-ce point que cet effort tout extérieur et humain n’est point le véritable Évangile ?

À cette question, il veut une réponse. Et non moins que sa nature et ses idées, l’âpre désir de régénérer l’Église va lui faire chercher dans une interprétation nouvelle du christianisme le salut de tous comme son propre salut.


II


Cette interprétation, Luther devait la formuler dans son Commentaire sur l’Épître aux Romains (octobre 1515-1516).

On a dit, et Luther l’a dit lui-même, que sa doctrine avait été une « révélation, » le sens subitement retrouvé de la pensée paulinienne et du vrai christianisme. Légende dont la critique a fait justice ! C’est oublier que, dès 1513, sa pensée était déjà imprégnée de la lecture des Épîtres et qu’il avait noté ces textes célèbres où Paul, « le plus profond des théologiens, » avait proclamé contre la justice des œuvres, l’imputation qui nous est