Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parole qui écoute l’Évangile. » A coup sûr, ces tendances s’accusent dans les Commentaires sur les Psaumes. Luther s’y prononce contre l’excès « des lois et des œuvres » qui changent le caractère du pouvoir ecclésiastique, mais il y critique aussi tous les abus qu’Érasme a déjà dénoncés ou raillés dans ses satires contre le peuple ou contre les moines. « Ceux qui vénèrent, qui préfèrent à ce point leurs professions, leur ordre, leurs saints, leurs règles, qu’ils méprisent ceux des autres… ne te semblent-ils point judaïser ?… Combien en voyons-nous pour qui tonsures, génuflexions, inclinaisons de tète, chants, prières sont seulement un geste corporel et dont le cœur est absent ! » Et ce sont aussi les pratique populaires qu’il attaque. Il reviendra à plusieurs reprises, dans ses sermons, puis dans ses Decem Praecepta, contre ce culte utilitaire et tout matériel des saints. « Nous sommes submergés par un océan de superstitions. On honore d’autant plus les saints qu’ils ont une auréole plus grande de légendes ou de fables. » Dans ces railleries contre les croyances populaires, les dévotions spéciales à sainte Barbe, saint Antoine, saint Christophe, ne retrouve-t-on point les accens et jusqu’aux termes mêmes de l’Enchiridion ?

Nominalisme, augustinisme, mystique, humanisme chrétien : voilà bien les disciplines intellectuelles qui détachent Luther de la vieille théologie. Toutes le poussent vers cette conception d’un christianisme plus moral que savant, plus avide de croire que de comprendre, d’être consolé que d’agir, doctrine de vie intérieure, d’illumination et de grâce, non d’œuvres, de raison et de liberté. A vrai dire, il n’en a retenu que ce qui pouvait s’adapter à sa nature et les matériaux qu’il leur a pris n’entrent qu’altérés, modifiés, dans sa construction théologique. Nous n’en tenons pas moins les élémens spéculatifs, que vont mettre en œuvre et son expérience propre et celle du milieu social où il se meut.

Que d’autres, en effet, plus égoïstes ou plus timides, se contentent de prier ou de gémir, trouvant, dans l’ascétisme du cloître ou la pratique des vertus individuelles, cette certitude de paix et de salut. Par devoir, par profession, le jeune maître regarde et compare… Jamais les œuvres de piété n’ont été plus répandues et les observances plus nombreuses. Églises qui se construisent, confréries qui se fondent, couvens et hôpitaux qui se multiplient, fêtes, aumônes, indulgences, pèlerinages, tout semble annoncer la restauration de cette Église encore affaiblie