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plus ou moins, a inspirés. Le Dieu du nominalisme lui avait apparu comme un despote arbitraire ; le Dieu des mystiques sera pour lui, à travers le Christ, le Dieu intérieur des consolations et des miséricordes. Détourné des « théologiens de la gloire, » il va donc aux « théologiens de la Croix : » Bernard le prédicateur de l’humilité, une des âmes qui ont le mieux contemplé les blessures de Jésus et compris les enseignemens de sa Passion ; Gerson, l’apôtre de la vie cachée, des effusions saintes, si pénétré du néant de l’homme, de la bonté paternelle de Dieu, qu’on a pu lui attribuer l’Imitation ; en Allemagne même, Gérard de Zutphen, et surtout Tauler qui deviendra, en 1515, un de ses livres de chevet. Il dévore ses sermons. « Je n’ai jamais vu, écrit-il alors, soit en latin, soit en notre langue, une théologie plus saine, plus conforme à l’Évangile. » C’est que, si Augustin lui a montré les grandes vérités qu’il cherche, Bernard, Gerson, Tauler lui ont fait toucher les réalités dont il vit. Leur théologie est « la sagesse de l’expérience. » Somme toute, « les pratiques sont plus illuminés dans la foi, que les spéculatifs. » Ils nous apprennent que, pour posséder Dieu, nous devons nous abaisser nous-mêmes, recevoir passivement la grâce, sans aller au-devant d’elle, être « agis, » non agissans. « Nous sommes la matière, Dieu est la forme, » car il « opère tout en nous. » Le quiétisme de Luther est déjà en germe dans ces définitions.

Ainsi, cette théologie de l’illumination et de la grâce, contemptrice de la nature, hostile à la liberté, poussait Luther sur la pente où l’engageait sa propre nature. Nous tenons là un de ses leviers intellectuels, le plus solide, le plus puissant, et qui l’incline vers cette conception d’un christianisme intérieur, dégagé des œuvres et des moyens de salut. Ces tendances allaient trouver une impulsion nouvelle dans le mouvement créé par l’humanisme chrétien.

Dans ces années mêmes où, au fond du cloître de Wittemberg, Luther commence et poursuit son enseignement, Reuchlin, Lefèvre, Érasme ont donné à la culture religieuse son orientation et ses chefs. À coup sûr, le théologien qui commentait les Psaumes et allait étudier saint Paul, ne pouvait rester étranger à l’immense labeur de philologie et d’histoire qu’ils avaient entrepris. Comment interpréter la Bible sans en avoir d’abord le texte authentique ? Dans la voie où il s’engage, rien de plus naturel qu’il les rencontre, et, très vite, entre