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Dieu ?… À ces contradictions, les souples disciples d’Occam avaient pu échapper. Mais Luther n’était point de ces esprits qui concilient, et de même que le criticisme du maitre lui avait fourni les élémens de son fidéisme, il allait trouver dans sa théodicée les premiers argumens en faveur de ce déterminisme moral, des idées de prédestination, d’« élection arbitraire, » dont les Thèses et le Serf Arbitre seront plus tard la conclusion.

On voit ainsi en quoi la doctrine luthérienne se rattache à une des grandes doctrines médiévales, à la fois comme une conséquence et une réaction, et c’est dans une philosophie de la liberté qu’elle allait trouver ses premières armes contre la liberté même. Ce n’étaient point cependant ces oppositions logiques qui allaient détourner Luther des croyances traditionnelles. Le système occamien était encore, malgré son fidéisme, trop rationnel et raisonneur pour lui suffire. C’était toujours la scolastique… Et au moment où le jeune moine l’étudiait, il avait perdu le goût, sinon de ses doctrines, du moins de ses procédés. Son commerce étroit avec la Bible et, dans la Bible, avec les livres les plus humainement divins l’avait déjà préservé des controverses, des subtilités où s’épuisaient les écoles. Staupitz le poussait vers la mystique. De telles influences, non moins que ses propres besoins d’âme, appelaient une discipline nouvelle qui mit d’accord sa pensée et sa conscience. Cette discipline, il la trouve dans saint Augustin.

Luther le lit, pour la première fois, en 1509. C’est l’heure où la pensée du grand évêque, presque oubliée depuis le viiie siècle, se réveille. Elle reparait dans les couvens réformés qui suivent sa règle. Elle s’infiltre dans l’élite. En 1506, ses œuvres sont éditées à Bâle. Bâle était en relations étroites avec Erfurt ; il est probable que les augustins de cette ville furent appelés ainsi à connaître ses écrits. De 1509 à 1511, Luther étudie, au moins, quelques traités, ceux qu’a glosés le moyen âge, les Confessions, la Cité de Dieu, la Vraie Religion, la Doctrine chrétienne. Ce fut une révélation. Avec quel enthousiasme notre théologien va se donner au maitre, les notes marginales écrites sur ces livres en font foi. Le grand enchanteur ramené à la lumière a conquis cette âme qui cherche. A la place des arguties, des sophismes, des « intentions, » des « quiddités, » voilà une pensée forte qui plonge aux profondeurs de la vie morale ou s’élève aux sommets