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commerce est si étroit, qu’il en cite de mémoire des passages entiers. Pour préparer ses leçons sur les Psaumes, il ne consulte point seulement des éditions, mais des Pères, comme saint Augustin et saint Jérôme, des exégètes comme Isidore de Séville, Nicolas de Lyre, Paul de Burgos, des philologues comme Reuchlin et Lefèvre. En même temps, et pêle-mêle, il dévore les théologiens et les poètes, Scot ou Occam, Erasme ou le Mantovano. A vingt-neuf ans, il a déjà la réputation d’être un des plus savans hommes de son ordre. — Mais dans quelle mesure a-t-il subi ces disciplines diverses, et que leur doit-il ?

A la culture classique, il devra peu. « Je ne suis qu’un barbare, » dit-il plus d’une fois. En cela il se trompe. A Erfurt, où il avait étudié la philosophie et le droit, il avait pris contact avec les humanistes : Lang, Spalatin, Rubianus, ses amis devenus plus tard ses disciples. Grâce à eux, sans doute, « il goûta à la douceur des lettres. » L’antiquité latine lui est familière. Il en connaît les orateurs et les poètes, même les élégiaques, préférant à tous, d’ailleurs, Horace et Virgile. Il en nourrit son style, mettant une coquetterie à leur prendre des sentences, des comparaisons ou des images, citant d’abondance, en hôte de la maison. Et combien il dépasse les cicéroniens de son temps par l’éclat, la force, le relief ! Mais il ne se trompe qu’à demi, si connaître l’antiquité est moins emprunter à ses livres que se pénétrer de sa vie.

De l’immense domaine que chaque jour explorent les humanistes, une province d’abord, l’hellénisme, lui est mal connue. Il n’apprendra le grec qu’assez tard ; encore la connaissance des mots ne lui donnera-t-elle qu’une notion incomplète des œuvres. Il ignorera la plupart des historiens et les tragiques. De Platon, il n’a guère lu que le Phédon, et une traduction latine lui a révélé les seuls traités d’Aristote dont il ait, semble-t-il, fait une étude complète : l’Éthique, la Physique et le Traité de l’âme. L’unique livre qu’il ait connu dans l’original est l’Iliade. En réalité, l’hellénisme ne sera jamais à ses yeux qu’une « agréable » littérature. Et des Latins mêmes, sommes-nous bien sûrs qu’il ait lu tous les auteurs qu’il cite ? Comme ses contemporains, Luther s’est certainement servi des lexiques et des recueils des commentateurs : la Margarita philosophica de Reisch, le Répertoire de Judocus Windsheim. Manuels commodes qui groupaient, à l’usage des étudians et des maîtres, les vers ou les sentences