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lection des Crisis qui se répandirent à des milliers d’exemplaires (1776-1778), firent pénétrer les doctrines nouvelles partout où on lisait, où l’on méditait sur le territoire américain.

Aux origines puritaines et britanniques se soudèrent en quelque sorte les idées nouvelles : ainsi se forma l’amalgame auquel présida l’expérience du peuple américain, déjà formé, depuis longtemps, aux mœurs de la liberté[1]. La Constitution américaine où se trouvent combinés des principes, des raisonnemens, des procédés empruntés aux civilisations les plus diverses, repensés à l’Américaine, appartient en propre au sol où elle est née, mais on ne peut nier qu’elle ait été, pour ainsi dire, arrosée et fécondée par l’idéalisme et le rationalisme cartésien et philosophique français : l’influence française est aussi présente et actuelle dans la constitution américaine que l’alliance française le fut, et l’est encore, dans l’œuvre de l’Indépendance américaine.

Cette autorité a été discutée d’abord, niée ensuite. Elle subsiste cependant dans le sentiment des peuples et dans un fait plus éclatant que la lumière du jour, l’analogie du régime égalitaire et républicain survivant, après cent cinquante ans d’expérience, des deux côtés de l’Océan. Fait d’autant plus frappant qu’il n’a pu s’établir et se maintenir en Amérique qu’en remontant, pour ainsi dire, le courant des mœurs et des lois.

En effet, si le régime politique se distingue de celui qui régit l’Angleterre, les coutumes, les habitudes intellectuelles, la législation civile, les tendances religieuses, la vie sociale se conforment beaucoup plus fidèlement à la tradition britannique[2]. À cette tradition, la langue et la littérature ont servi à la fois de truchement et de soutien. L’honneur de se dire

  1. Le docteur Borgeaud, dans son livre, les Origines de la démocratie moderne dans la vieille et dans la nouvelle Angleterre, a cité cette résolution prise, en 1641, par l’assemblée générale de Portsmouth, Rhode-Island, etc. : « Il est convenu et ordonné que le gouvernement que dirige, en cette île, (de Rhode-Island) cette assemblée investie de la juridiction qu’elle y exerce par la faveur du prince, est un gouvernement démocratique et populaire, c’est-à-dire que les citoyens paisiblement assemblés, ou une majorité d’entre eux, ont le droit de faire et maintenir en force les lois justes qui leur serviront de règles et de nommer parmi eux les délégués chargés de veiller à ce que ces lois soient fidèlement exécutées d’homme à homme. »
  2. « L’illustre John Adams, le second président de l’Union, était très entaché d’aristocratiques prérogatives, et il releva avec plaisir que, sous sa présidence, se dessinait un semblant d’aristocratie à Boston. Il portait un écusson à ses armes, sur sa voiture de gala, ce qui n’empêchait pas les dames, réputées nobles, de Boston, de dire en parlant de lui : « Ce fils de savetier. » Il eût voulu rapprocher le régime américain de la monarchie constitutionnelle de l’Angleterre. Il échoua parce que le courant était ailleurs. » Premiers interprètes, loc. cit. (p. 156).