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trionales par l’ordre de François Ier et qui, égaré, à un second voyage, vers les mers du Sud, fut, finalement, pris et mangé par les sauvages du Brésil. L’espoir de la découverte des chemins vers l’Inde par les voies boréales, tint en éveil les imaginations pendant tout le XVIe siècle. Le goût de l’impossible est un goût français : rien ne tente ces beaux courages comme le risque de mort ; le bon sens de la race se relève et s’épice volontiers d’un grain de folie. Après Verazzano, un malouin fameux, Jacques Cartier, devint, à son tour, le navigateur du Roi et renouvela l’entreprise. Celui-ci est de la grande lignée : on ne doute plus, aujourd’hui, que Rabelais ne l’ait connu et pris pour type du voyageur fabuleux à la recherche de la « Dive Bouteille[1]. »

Champlain a toutes les consécrations, y compris celle du succès ; il réalisa le rêve de ses prédécesseurs et fonda une « Nouvelle France ; » et cela avec une énergie, une patience, une hardiesse, une bonhomie, qui font, de lui, un excellent type de Français. Il serait bien à désirer que tous nos colons s’inspirassent de ses exemples, maintenant qu’ils ont, devant eux, un immense champ où répandre la semence des nations futures, et c’est pourquoi j’insiste sur les traits saillans de son caractère : ce qu’il fit tient surtout à la manière dont il le fit.

Dans son Traité de la Marine et du Bon Marinier,[2] il nous donne une parfaite image du « Capitaine courageux ». « Il faut, dit-il, que le bon marinier soit robuste, dispos ; il doit avoir le pied marin, être infatigable aux peines et aux travaux, afin que, quelque accident qu’il arrive, il puisse se présenter sur le tillac et, d’une voix forte, commander à chacun ce qu’il doit faire. Quelques fois, il ne doit mépriser de mettre luy-même la main à l’œuvre pour rendre la vigilance des matelots plus prompte et que le désordre ne s’en suive. Doit parler seul pour que la diversité des commandemens et, principalement aux lieux douteux, ne fasse faire une manœuvre pour une autre.

« Il doit estre doux et affable en ses conversations, absolu en ses commandemens, ne se communiquer trop facilement

  1. Voyez les belles recherches de M. Abel Lefranc : les Navigations de Pantagruel, étude sur la géographie rabelaisienne, 1905.
  2. Publié à la suite des Voyages de la Nouvelle France occidentale dit le Canada, faits par le sieur Champlain, xaintongeois ; etc., dédié à Mgr le cardinal de Richelieu. A Paris, chez Pierre Le Mur, 1632, in-4. — Voyez aussi Gabriel Gravier, Vie de Samuel Champlain fondateur de la Nouvelle-France. Paris, Maisonneuve, 1900, in-8.