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Et bientôt, en sourdine, la chanson reprend :


Quand ils furent sur la colline,
Mes agneaux voulurent danser !



Jérôme vint diner à Filaine, comme il l’avait promis. Cette journée parmi ses ouvriers, sur son chantier, l’avait reposé :

— Ah ! mon cher Gabriel, que c’est bon de travailler sans arrière-pensée, de travailler pour travailler, de travailler parce que nous sommes faits pour cela. Le baron toujours parfait… Il se marie ces jours-ci. Il a enfin décidé Suzanne Miroir. J’ai cru qu’il en ferait une maladie. Elle ne voulait rien savoir. Elle sera baronne. Eh ! parbleu, elle en vaudra bien d’autres…

Les deux Baroney marchaient à pas lents dans une allée du jardin de Filaine. La soirée était d’une douceur émouvante. Jérôme se détendait. Il sentait comme une trêve dans sa vie. Il était heureux du bonheur de Malard. Son frère le surprit qui regardait les étoiles.

« Tout de même, se dit Gabriel, au milieu de cette débâcle, je lui aurai sauvé les yeux. C’est bien quelque chose. »

Gabriel souriait à la satisfaction de son aîné. Il souriait à sa femme qu’il apercevait par la fenêtre éclairée du premier étage. Elle couchait les petites. On avait de bonnes nouvelles des absens. Il souriait à tous ses enfans. Il avait lu dans les yeux d’Étienne un bonheur nouveau, exempt de souillure. Gabriel souriait à sa maison, qui avait dans la nuit la discrète silhouette qui convient, à sa maison simple, vivante, harmonieuse, à sa maison qui avait de la race, de la solide et bonne race bourgeoise. Gabriel souriait à sa pipe, à son bel arbre argenté, à sa chère vallée, à son domaine…

Ses narines frémissaient. Il appuya doucement la main sur le bras de son frère, puis humant profondément l’air autour de lui :

— Comme cela sent bon, la terre que l’on cultive !


Jacques des Gachons.