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fallait-il qu’il plût justement un pareil jour ? A mesure que l’heure avançait, Marthe Baroney sentait l’anxiété l’envahir.

Le matin, Maxime était parti de bonne heure, contrairement à ses habitudes, et il n’était pas rentré déjeuner. Marthe l’avait attendu jusqu’à une heure, puis elle s’était dit que, dans son état, qui datait déjà de cinq mois, il convenait de ne pas bouder à la nourriture et elle s’était mise à table, toute seule. Maxime avait déjà déjeuné dehors, mais, jusqu’à présent, il avait averti sa femme. Ce silence la troublait. Depuis quelques jours, Maxime n’était plus le même. Il se trouvait, il est vrai, sur le point de prendre la plus grave décision : signer l’achat d’une étude ; on serait fébrile à moins ! Marthe se demandait maintenant s’il n’y avait pas « autre chose. » La lune de miel avait été délicieuse : voyage aux Lacs, huit jours à Venise, retour par Genève et le Jura avec un Maxime gai, prévenant, parfait. Mais, dès le second mois, la jeune femme avait vécu dans la crainte presque quotidienne de cette catastrophe que tout le monde s’était fait un devoir de lui annoncer. Cependant l’hiver s’avançait, ce premier hiver loin de Paris que Marthe avait tant redouté, et rien ne s’était produit, à peine quelques sautes d’humeur. Et puis voilà que tout à coup, sans rien dire, Maxime ne rentrait pas déjeuner.

Marthe, parfois, se levait brusquement pour appuyer son front à la vitre et mieux voir un passant, mais bientôt elle se rasseyait. Ce n’était pas Maxime. Elle l’eût reconnu tout de suite, à son allure qui n’était celle d’aucun autre homme de la ville. Ce n’était pas Maxime.

Comme dans beaucoup de petites villes, l’avenue de la gare, à La Châtre, tracée en pleins champs, était encore à demi déserte. Les terrains avaient été vendus par lots irréguliers et l’on avait commencé à construire de tous les côtés à la fois. Si bien que l’on voyait à la file de grandes maisons bourgeoises, des terrains vagues, des jardinets, de belles villas, des chantiers et de modestes demeures d’ouvriers raisonnables et soucieux seulement du bien-être de leur ménage.

Maître Bourin, possesseur de deux emplacemens, en avait donné un à sa fille, et sur ce terrain Jérôme Baroney édifiait la très moderne villa que devait habiter, l’an prochain, son propre ménage et celui de Maxime. En attendant, partagé entre Épirange et La Châtre, notre architecte continuait de coucher chez la tante Anna. Maxime et sa femme avaient loué un premier étage