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Il est triste de voir par quelle étrange fatalité les mêmes situations se renouvellent. Nous ne voulions pas aller à Fez ; le gouvernement le disait du moins ; il y a été entraîné par l’obligation de sauver les Français qui s’y trouvaient. Et cela recommence à Marakech ! Nous avons maintenant au Maroc plusieurs roguis ou prétendans : le plus sérieux de tous est El-Hiba, le fils du terrible Ma-El-Aïnin, qui entraîne avec lui toutes les tribus du Sud depuis le Soudan algérien jusqu’à la Chaouïa. Nous n’avions pas de forces suffisantes à lui opposer à Marakech ; il a donc été décidé que la ville serait évacuée par les Européens, sage mesure qu’on aurait dû prendre autrefois à Fez et y exécuter complètement. On l’a bien prise à Marakech, mais l’opération a été incomplète. Neuf Français, dont notre consul, M. Maigret, notre vice-consul, M. Monge, et un officier supérieur envoyé en mission, le commandant Verlet-Hanus, sont restés dans la ville : ils croyaient avoir le loisir de s’évader et ne l’ont pas eu, tant les mouvemens d’El Hiba ont été rapides. Que sont-ils devenus ? On s’est rassuré d’abord en disant que notre ami El Glaoni leur avait ouvert un refuge où ils étaient en pleine sécurité ; El Glaoni avait promis d’ailleurs de ne jamais les livrer à l’ennemi ; c’est pourtant ce qu’il s’est empressé de faire dès que celui-ci s’est présenté. Faut-il en accuser sa bonne foi ? Qui sait ? Peut-être n’a-t-il pas pu agir autrement. Que vouliez-vous qu’il fit contre des forces évidemment supérieures aux siennes ? Qu’il mourût ? Ce n’est pas un héros de Corneille. Ces grands chefs féodaux, comme on aime à les appeler, n’ont pas les sentimens de chevalerie qu’ont eus autrefois les nôtres. Ils ne considèrent pas que leur parole les engage, ni que les devoirs de l’hospitalité les obligent jusqu’au point où ils se compromettraient eux-mêmes. Nous ne les changerons pas, ils sont ainsi, et nous ne pourrons compter sur eux que si nous sommes nous-mêmes les plus forts : alors ils seront fidèles. Quoi qu’il en soit, nos malheureux compatriotes sont entre les mains d’El Hiba. Il a promis à son tour de les conduire sains et saufs à la côte : nous verrons bien ce qu’il en fera. On a pu croire que son intérêt serait de nous les rendre pour que nous le laissions tranquille à Marakech pendant un temps plus ou moins long ; mais il doit compter avec le fanatisme de ses troupes, et ne sera-t-il pas entraîné par le sien propre ? Nous ne demandions qu’à ne pas l’attaquer, au moins pour le moment. Le gouvernement l’avait décidé ; nous devions d’abord consolider notre situation autour de Fez, elle en a grand besoin, et nous aurions conquis ensuite peu à peu le reste du pays. Mais il aurait fallu pour cela que nos neuf compatriotes parvinssent à