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si généraux qu’elle restait un peu vague ; mais ses tendances étaient notoirement conformes à celles des autres puissances. Aussi s’est-on demandé pourquoi l’Autriche avait jugé utile de donner tant de solennité à l’expression de sa pensée. L’empereur François-Joseph a même ajouté son autorité personnelle, qui est si considérable, à celle de son ministre auquel il a choisi ce moment pour décerner une des plus hautes décorations dont il dispose. Se présentant avec cette consécration suprême, la proposition du comte Berchtold devait rencontrer auprès de tous les gouvernemens une sérieuse déférence et, en effet, ils lui ont fait tous une réponse favorable. Mais, nous le répétons, il faut s’expliquer pour être sûr de bien s’entendre, et c’est la seconde phase de l’opération diplomatique dans laquelle on est entré. La troisième sera remplie par les démarches à faire, s’il y a lieu, auprès de la Porte et des États balkaniques. Il ne s’agit pas d’intervention, dit l’Autriche ; il ne s’agit pas de pression ; soit, mais de quoi s’agit-il exactement ? L’Autriche déclare qu’elle veut fortifier le gouvernement ottoman dans la voie de la décentralisation où il s’est engagé. S’y est-il engagé tant que cela ? La voie est très longue, très accidentée, elle peut conduire très loin. L’exemple de l’Albanie, où elle est obligée de faire des concessions qui créent une véritable autonomie, n’est pas sans effrayer la Porte. Ce mot de décentralisation ne lui dit rien qui vaille. Parce qu’on a trop incliné dans le sens du jacobinisme unitaire, faut-il tomber maintenant dans une sorte de fédéralisme ? Poussée jusqu’à un certain point, la décentralisation peut être la préface de la dislocation et du démembrement. C’est ce que craint la Porte. Ce que peut craindre l’Europe, c’est que l’affaiblissement du pouvoir central ne déclanche, ne déchaîne entre les États balkaniques, âprement jaloux les uns des autres et tout prêts à se disputer les mêmes territoires, des querelles redoutables auxquelles elle ne saurait rester étrangère. Et voilà pourquoi, si tout le monde approuve la proposition autrichienne au point de départ, on se demande où elle conduira. Ces questions n’ont pas encore de réponse ; elles ne peuvent pas en avoir de si tôt. Au surplus le comte Berchtold n’est plus à Vienne ; il est allé en Roumanie, à Sinaïa, où il est reçu par le roi Charles. La Roumanie n’est pas une des grandes puissances auxquelles la proposition autrichienne est adressée ; mais, par sa situation géographique et par les forces militaires dont elle dispose, elle peut avoir une influence considérable sur certains États balkaniques, notamment sur la Bulgarie. Elle est de plus en Orient comme une sentinelle avancée de la Triple alliance. Tout donne à croire que le comte Berchtold est allé à Sinaïa avec des