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Paris ? Nous parlerons dans un moment de cette proposition qui a pour objet de donner de bons conseils à la Porte d’une part et aux pays balkaniques de l’autre : mais il faut auparavant dire un mot de la situation de l’Empire ottoman, de la manière dont elle se développe et des dangers qui s’y manifestent. C’est là d’ailleurs qu’on trouvera la meilleure explication des préoccupations du comte Berchtold et de la résolution qu’elles lui ont fait prendre. La situation de l’empire ottoman, en effet, est loin de s’être améliorée depuis quelques jours ; les inquiétudes qu’elle inspirait déjà se sont au contraire singulièrement aggravées, d’autant plus qu’à mesure que les difficultés augmentent, le gouvernement s’affaiblit. Danger albanais, danger monténégrin, danger bulgare, danger de tous les côtés, et, à Constantinople, ébranlement continuel d’un ministère qui s’en va en lambeaux : il y a là de quoi encourager les prophètes de malheur qui, depuis si longtemps déjà, annoncent la chute imminente de l’Empire.

Nous avons plusieurs fois parlé de l’insurrection albanaise et de ses causes. La principale a été l’imprudence jacobine du gouvernement jeune-turc qui, imprégné de certaines idées occidentales, a confondu l’unité de l’Empire avec l’uniformité de ses institutions et a voulu imposer la même loi à des provinces profondément différentes. Le sultan Abdul-Hamid a commis des atrocités qui rendent sa mémoire odieuse, mais on ne saurait contester l’intelligence avec laquelle il avait compris les nécessités qui résultaient de cet état de choses. Sa politique à l’égard des Albanais les lui avait solidement attachés, et cet attachement subsiste au fond des cœurs. Les journaux ont en effet parlé d’une conspiration albanaise qui avait pour objet d’enlever Abdul-Hamid de la villa où il est prisonnier dans les environs de Salonique et de s’emparer de sa personne pour en faire sinon un chef, car très probablement le vieux Sultan n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même, au moins un instrument et un drapeau : effrayé de ce projet, le gouvernement de Constantinople aurait ordonné le transfert d’Abdul-Hamid dans un lieu resté ignoré. Nous ne saurions garantir l’exactitude de cette nouvelle, mais elle n’a rien d’invraisemblable. Les Albanais peuvent d’ailleurs se passer d’Abdul Hamid ; ils sont assez forts par eux-mêmes. Si ce n’est pas à eux seuls qu’est due la chute du gouvernement jeune-turc, ils y ont contribué pour une grande part et, le lendemain, ils ont dicté la loi au nouveau ministère. Celui-ci désirait dissoudre la Chambre, mais il ne savait comment s’y prendre, et peut-être l’audace lui aurait-elle manqué jusqu’au bout s’il n’avait pas reçu les injonctions impérieuses des insur-