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tenait une place chaque jour moins grande et qui, de diminution en diminution, finirait par se réduire à rien ; on assurait que déjà maintenant l’alliance n’existait plus que pour la forme et à la condition de ne pas y toucher, de ne pas s’en servir, car c’était le vase brisé. L’opinion allemande se complaisait dans cette illusion que les journaux s’appliquaient à entretenir. On pouvait croire à les lire, que la France, comme la Russie elle-même, ne tenait plus guère à l’alliance, qu’elle en était bien revenue, qu’à l’usage elle en avait senti le vide et reconnu l’inefficacité. Qu’avait-elle produit en effet ? Rien, affectait-on de dire : les espérances du début s’étaient peu à peu dissipées, et la France, sentant qu’elle n’avait entre les mains qu’un instrument stérile, s’en était finalement détachée.

Nous ne perdrons pas notre temps à discuter ces allégations et à en démontrer l’inanité. Dans une durée déjà longue, l’alliance a pu éprouver quelques fléchissemens accidentels et provisoires, mais si on envisage ses résultats dans leur ensemble, elle a tenu ce que les deux parties en avaient espéré. En ce qui nous concerne, elle a modifié profondément notre situation en Europe. Nous étions la veille dans un isolement qui n’avait rien de splendide, exposés à tous les caprices d’un voisin puissant, exigeant, parfois menaçant : le lendemain, la paix trouvait une garantie précieuse dans un commencement d’équilibre, qui n’a pas tardé à se compléter par l’accession de l’Angleterre à un groupement déjà imposant. Ce ne sont pas seulement nos intérêts, mais aussi notre indépendance et notre dignité qui ont été consacrés par cet état nouveau de l’Europe. Ceux qui parlent de la banqueroute de l’alliance franco-russe semblent croire qu’elle avait été faite pour la guerre et, puisque la guerre n’a pas eu lieu, ils concluent qu’elle n’a pas rempli son objet. La vérité est que, sans exclure la possibilité de la guerre à laquelle elle prenait ses dispositions pour faire face, l’alliance avait pour but principal le maintien de la paix, et ce but a été pleinement atteint. C’est pourquoi la France et la Russie sont également résolues à la maintenir, et, puisqu’on en doutait, elles ont cru loyal d’en donner une affirmation publique. Le voyage de M. Poincaré en Russie et l’accueil qu’il y a reçu n’ont pas une autre signification. L’alliance reste un des facteurs les plus importans et les plus solides de la politique générale.

Il y en a d’autres, certes ; nous n’en avons jamais douté. Est-ce pour le rappeler que M. le comte Berchtold a pris à la hâte auprès des grandes puissances une initiative imprévue, si urgente à ses yeux qu’il n’a même pas attendu, pour la produire, le retour de M. Poincaré à