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Car la neige des ans me couvre de flocons
Et, précoce vieillard, dans l’oubli je m’enfonce,
Et déjà je vois croître et prospérer la ronce
Sur mes champs qui naguère ont été si féconds.



L’ASILE


Quand l’âme souffre tant que c’est avec stupeur,
Frère immémorial de l’oubli, le silence
Assoupit la douleur trop amère et balance
Sur les maux qu’il apaise une calme torpeur.

Cherche dans ce vallon tranquille ma retraite,
Ami. Retrempe-toi dans un labeur humain.
De rustiques vertus fleuriront ton chemin.
Entre et mange. Le pain est cuit, la chèvre est traite.

Vis sous mon humble toit du labeur de tes bras.
La fatigue éteindra toute mélancolie,
Et seul le souvenir de la tâche accomplie
Hantera ton sommeil lorsque tu dormiras.



LES MARTINETS


Dans le beau soir d’été, les fins voiliers de l’air
En cercles éperdus virent avec ivresse.
Un vent chargé d’odeurs suaves les caresse,
Et le soleil s’effondre à l’occident plus clair.

Quel mirage insensé hâte leur vol rapide ?
Quel espoir vibre au bout de leurs élans subtils ?
Quel rêve en leurs légers réseaux enlacent-ils,
Avec des cris stridens où le ciel d’or trépide ?…

Ainsi, comme eux, humains stoïques, nous tournons
Dans le cycle infernal des fuyantes chimères ;
Puis, nous cessons bientôt nos rondes éphémères,
Sans laisser ici-bas même de vagues noms.