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C’était peut-être demander l’impossible, et chacun sait, en outre, combien les occasions négligées se retrouvent rarement. Eût-on d’ailleurs pu combiner quelque projet nouveau que sa réalisation se serait sans doute heurtée à des obstacles, cette fois insurmontables. La situation se modifiait rapidement en France comme en Europe. Ébranlée par les incidens coloniaux, l’entente cordiale s’effondrait à la suite des mariages espagnols, et le ministère Guizot voyait miner ainsi les fondemens de sa politique étrangère, tandis que sa politique intérieure commençait à soulever dans le pays un mécontentement grandissant. Pour la monarchie de Juillet, le temps était passé des préoccupations lointaines. Lorsqu’en 1845, le fameux cheik de l’Oued Noun essaya de reprendre les pourparlers, on mit de l’obstination à reconduire sans affirmer du reste l’abandon de l’affaire. Lorsque, à la même époque, des difficultés survenues à Madagascar firent songer à un nouveau projet d’expédition, ce projet ne put aboutir ; il ne se rattachait plus, du reste, au système de 1845, et son étude même en consacrait implicitement l’abandon. Je ne sache pas, d’ailleurs, que postérieurement à 1845 des ministres de la monarchie de Juillet se soient préoccupés de l’acquisition méthodique de ports disséminés. Le dessein, sans nul doute, ne disparut pas à jamais, car, par la suite, la constitution des points d’appui pour notre flotte, fit revenir aux mêmes idées, mais sans partir exactement des mêmes données et sans demeurer fidèle à la conception échafaudée par Guizot. Officiellement adoptée, au Conseil des ministres de janvier 1843, celle-ci fut bien réellement abandonnée en juillet 1845, lors de la renonciation à Basilan.

Le système des points de relâche n’eut donc nul aboutissement pratique : ceci ne signifie pourtant point qu’il soit négligeable. Sans parler de son intérêt pour les personnes curieuses des opinions ou des procédés d’un ministre dont le rôle fut si considérable, ce système offre, comme je l’ai remarqué chemin faisant, le phénomène assez rare chez nous d’une vue coloniale d’ensemble. Il témoigne aussi d’un souci, incomplet sans nul doute et assez nébuleux, mais bien réel cependant, de ce qu’on a qualifié depuis la politique mondiale, et cela à une époque et sous un régime qui passent volontiers pour être demeurés étrangers à de si vastes préoccupations. Enfin, et surtout peut-être, ce système de 1843 ne doit pas être considéré en lui-