Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

subissait la complète influence des hommes d’action et des praticiens, au point d’afficher un empirisme presque absolu. Des commerçans voulaient être protégés sur la côte de Guinée ? elle leur donnerait quelques postes copiés sur ceux de l’Algérie. Des navigateurs réclamaient un point d’appui dans le Pacifique ? elle leur procurerait quelque archipel, sans songer à en rattacher l’acquisition aux principes qui dictaient la fondation des postes. Forcée de s’occuper, au même titre et de la même manière, des bateaux qui naviguaient dans les mers d’Asie ou de ceux qui parcouraient la Méditerranée, elle était aussi habituée à considérer constamment toutes les parties du globe avec un soin égal, sans estimer qu’en raison de leur proximité, les questions méditerranéennes, par exemple, dussent nécessairement primer celles qui se rapportaient aux mers de Chine. Aux Affaires étrangères il en allait différemment. Le prestige dont les entreprises y jouissaient variait suivant leur théâtre ou leur nature, et toutes devaient, en outre, se coordonner en système. Car le temps se trouvait encore proche où, dans l’Europe de la Restauration si savamment hiérarchisée, le but suprême était de maintenir un ingénieux équilibre entre les puissances dirigeantes, ou encore, dans les momens d’ambition, de remporter sur telle d’entre elles quelque victoire d’amour-propre. Les situations de fait avaient maintenant changé ; les traditions demeuraient. Pour les diplomates de race, la grande politique consistait toujours dans des évolutions savantes entre l’Angleterre, la Russie et l’Autriche, à propos de révolutions espagnoles ou de prépondérance morale en Italie. Les avantages matériels n’étaient pas tenus pour les plus grands et s’en trop préoccuper passait même volontiers pour une politique un peu mesquine. Or, le plus souvent, les affaires se déroulant dans les parties lointaines du monde ne mettaient directement en jeu que des intérêts de négocians et ne pouvaient ainsi conduire qu’à des discussions sans gloire à propos de territoires sans passé. Pareille besogne était nécessaire, de temps en temps, mais demeurait de second ordre et seulement digne d’attention quand rien ne se passait dans la vieille et classique Europe des chancelleries. Voilà pourquoi le projet sur Poulo-Condor était repoussé sans recevoir même l’honneur d’un examen, pourquoi la crainte de froisser les Anglais ou les Portugais faisait imposer un effacement exagéré en Cazamance, pourquoi enfin les projets