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pauvre rakkas a tant de fois battues de ses pieds fidèles quand il allait insouciant, d’une maison de France à une autre maison de France, montant et descendant ces échines de montagne qui font l’une derrière l’autre des vagues bleues. Je revis dans les flammes dansantes les paysages indigens, les villages de huttes sordides, le campement inquiet du soir d’hiver sous la pluie glacée, et puis les beaux vieux murs crénelés de Fès qui semblaient prêts à s’écrouler, à la fin de l’enchantement triste, et mortel au son d’une trompe victorieuse. Je revis tout le Maroc vétuste qui meurt pour renaître, enfant barbare, aux bras de la France. Je revis l’humble Hadj’ Ali et tous les aspects des choses avec la même nostalgie qu’on a là-bas en pensant aux hautes moissons dorées, aux beaux villages serrés autour des clochers dans nos plaines, la même nostalgie qu’on a, les jours d’hiver, devant les diaboliques feux de racines de figuier, en pensant aux grandes flammes tranquilles qui brûlent aux foyers de France.

III. — LE VIZIR


Le vizir n’est pas content.

Ah ! non, il n’est pas content. Un grand pli barre son front de vieux Fasi, son front presque rose. Sa bouche s’abaisse aux coins sous la floconneuse barbe blanche. Et les pommettes vermillonnées de ses joues pâlissent. Il tourne autour de son doigt l’anneau d’argent où luit le rayon vert d’une émeraude. Il tortille, d’un air contrarié, le pan de son burnous blanc qui flotte aérien sur le caftan couleur d’azur. Si son visage de vieillard citadin, doucement rosé dans la neige des mousselines et des laines, n’avait cette ombre de maussaderie, il aurait l’air, le vizir, du patriarche des anges. Mais, hélas ! il n’est pas content !

Quoi ! des embarras, des soucis dans ces yeux, d’habitude rians, de vieillard débonnaire, sous ces voiles liliaux ?

Hier encore, quand il a quitté les roumis après une longue palabre, le vizir n’était que sourires. C’étaient la grâce pliante des salutations, le miel des lèvres, les bénédictions qui s’en remettaient à toute la nature de nous épargner tous les maux et de nous combler de bienfaits. Il remontait lentement avec