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bandeau de soie une onde de tes cheveux, tout d’un coup, tu fis avec tes bras le geste de dessiner un grand manteau qui te couvrait les épaules, abritait ta pudeur et te descendait jusqu’aux genoux. Et la tristesse passant soudain dans tes yeux, nous comprimes que tu pensais à la belle chevelure que les années t’avaient prise dont il ne restait plus qu’une toison amincie, encore noire, et qui retombait un peu sur ton front. Enfin un jour, faisant semblant de bercer dans tes bras un enfant que tes yeux couvraient d’amour, tu nous contas ta maternité douloureuse. « C’était une fille, » semblais-tu dire en montrant la jeune fille qui te dessinait, « grande comme elle, pareille, toute pareille, » disait ton doigt qui montrait ses yeux et ses cheveux noirs. Et puis, l’expression d’horreur crispant soudain ton visage, tes bras retombèrent et sur les dalles noires et blanches où tu t’affaissas agenouillée, ton doigt farouche dessina une tombe.

Pauvre mère, devenue fille solitaire de cette invincible nature qui prend paisiblement possession de nous quand elle nous a tout repris, tu semblas, en nous voyant, ranimer ton cœur mort et l’ouvrir à l’amitié des étrangères. Et quand un jour on te montra le vaisseau qui allait les emporter de l’autre côté du détroit, quand tu compris qu’elles allaient disparaître dans ces vapeurs qui représentent pour toi des régions aussi lointaines et aussi mystérieuses que celles au-dessus de ta tête derrière les nuages, quand tu vis qu’elles allaient partir, des larmes roulèrent en silence dans tes yeux. Tu leur donnas les dernières fleurs de tes champs et de petits anneaux d’argent qui me remuent le cœur lorsque, touchant les choses du passé, j’entends leur petit bruit de sonnailles.

Tu ignores encore pourquoi les roumis vont, partent et reviennent, toujours plus nombreux et plus forts. Tes champs sont libres et pour toi rien ne sera changé si longtemps que les iris sauvages dresseront dans la campagne leur grand luminaire. Tu ne sais pas… mais moi qui sais, je t’aime d’un cœur deux fois fraternel, ô femme innocente, ô mère sœur de toutes les mères, fille incarnée de cette nature élémentaire, si belle et si pauvre, qui s’imposait à nos cœurs, ô Lialah !