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tait vers la barrière, malgré les appels désespérés des jumens, des autres poulains, malgré les sifflemens des dindons, malgré les meuglemens de tout le troupeau blanc qui galopait en désordre vers la haie que côtoyaient le voleur et sa proie. Ce fut un grand drame. Tout le champ se révolta, s’apitoya. Les animaux, entre eux, ont d’obscures amitiés et le poulain que le pâturage allait perdre était un bon petit galopin que les vaches regardaient avec étonnement, mais qui, par ses gambades imprévues, amusait les jeunes veaux un peu lourdauds de leur naturel… A dix pas du barreau entr’ouvert le voleur aperçut le taureau à l’affût et qui, tête baissée, fondit sur lui. Il n’y avait pas de lutte possible. Il essaya bien d’interposer le poulain, mais celui-ci ne voulut pas se prêter à la manœuvre, et déjà Bastien jouait des cornes. L’homme lâcha sa conquête, puis, par un saut de côté, tenta de gagner, seul, la porte du champ. Le taureau ne l’entendait pas ainsi. Il barra le chemin à l’intrus et le poursuivit le long de la haie. L’homme tout à coup sentit le souffle de la bête furieuse et, sans réfléchir, sauta au milieu de la broussaille. Le taureau entra derrière lui parmi les ronces. Alors l’homme, épouvanté, cria au secours. C’était ce qu’attendait sans doute Bastien, car, tout de suite, il s’arrêta. Ce hurlement de l’homme avait dû s’entendre à la ferme. On allait accourir. Son rôle de gardien était terminé.

— Quand, aidé par le père Clément, dit l’oncle Gabriel, j’ai fait sortir l’homme, tout ensanglanté et penaud, de sa cachette, Bastien, à petits pas, a regagné le haut du pâturage et tout le champ a repris son grand calme quotidien. Car c’est le propre des animaux, mes enfans, d’oublier vite leurs peines, leurs joies et de ne point tirer vanité de leurs victoires.

Maxime avait rallumé un nouveau cigare et, les mains dans les poches, il suivait Rolande et leur oncle. La jeune fille était enchantée de son excursion au pays des bêtes à cornes et puis elle aimait les récits pittoresques de son oncle. Aux haies du chemin, des chèvrefeuilles en fleurs embaumaient. Mais, au fond, elle poursuivait son « idée » de la veille. La promenade avait un but. Rolande brûlait de parler du baron :

— Est-ce que M. Malard fait de l’élevage ?

— Mais certainement, répondit Gabriel Baroney.

— Il n’est donc pas aussi excentrique qu’on se plaît à le répéter ?