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pluie n’inquiètent Bastien. Lui et les siens supportent très bien les intempéries. Si l’orage augmente, le « maître du champ » marche, digne, vers les peupliers ou vers le vieux chêne, selon que les nuages viennent du Nord ou de l’Ouest, — et son troupeau le suit. Et dès que le soleil perce la brume, il mugit de reconnaissance et sort de son refuge.

— Voulez-vous entrer ? demanda Gabriel Baroney.

— Peuh ! répondit Maxime sans enthousiasme, vous savez, moi, les taureaux…

— Avec moi, il n’y a aucun danger. Bastien ne plaisante pas avec le protocole, mais ma présence vous accrédite.

— Entrons, dit Rolande qui s’amusait à être brave.

Tout de suite, Bastien aperçut le petit groupe et fit lentement quelques pas dans sa direction pour se rendre compte.

— Bonjour, Bastien ! s’écria l’oncle Gabriel.

Le taureau tendit le cou, s’arrêta, puis, indifférent, se mit à brouter l’herbe, à ses pieds. Et la traversée s’acheva sans incident.

Sur le chemin qui les ramenait vers la ferme, Gabriel Baroney raconta à Rolande, car Maxime décidément était bien distrait, une histoire de chasse dont Bastien avait été le héros.

Un jour, après avoir ouvert sans bruit la barrière, un homme tout ramassé sur lui-même et une corde entre les doigts, se glissa vers les poulains. Bastien d’abord laissa faire la blouse suspecte ; il continua de brouter en marchant vers la barrière comme s’il n’avait rien vu. Tout était calme dans le champ. Bastien seul se méfiait. Il avança en retenant son souffle. Les jumens, le col allongé, tiraient à elles, par-dessus la palissade, les branches d’un chêne, régal interdit. Les poulains, les quatre fers en l’air, se roulaient en découvrant le ciel, avec ses nuages, et le soleil qui fait fermer les yeux. Adroitement lancé, le lasso s’enroula autour d’une patte qui gigotait. D’un coup de reins, le petit fut debout. Mais déjà l’homme le saisissait aux naseaux, l’immobilisait. Les jumens continuaient, confiantes, leur dinette. Mais le taureau, en quelques bonds, gagna cent mètres. Il était maintenant à quelques pas de la barrière. Il savait que l’homme allait revenir de ce côté : les voleurs de chevaux arrivaient toujours par le chemin creux. Ce n’était pas la première fois qu’il avait affaire à eux… Tout à sa victoire, l’homme n’avait rien vu. Il tira le poulain, le cingla d’un coup de trique qui réveilla les mères. Mais il n’était plus temps ; le poulain trot-