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motif suffisant pour l’attaquer ? — Oh ! ce ne serait pas la même chose ! Pourquoi penserions-nous à faire la guerre à la Russie avec qui nous n’avons cessé d’entretenir des rapports excellens ? Il n’en est pas de même pour la France. Trop souvent nous avons été en guerre avec elle. Il y a deux cents ans qu’elle a ravagé le Palatinat et enlevé l’Alsace à l’Allemagne ! » Gontaut-Biron répliqua qu’il pourrait relever à son tour les incursions des peuples allemands en Gaule et qu’il ne s’agissait pas de rappeler les injures du passé. Pour le moment, la France était tout entière à ses affaires et avait grand besoin de la paix. « Vous me donnez cette assurance pour cette année, objecta Radowitz, mais me la donneriez-vous pour l’année prochaine ? — Oui, certainement et pour plus encore ! » Mais les affirmations du diplomate français ne convainquirent pas le diplomate allemand et la persistance de son attitude rogue et ironique redoubla les inquiétudes de Gontaut.

Morier avait lu avec attention le numéro du Times qui venait si à propos appuyer ses propres sentimens. Il l’envoya au Kronprinz et y joignit la lettre suivante sur laquelle j’appelle tout particulièrement l’attention du lecteur :

« Monseigneur, en rentrant chez moi la nuit dernière, j’ai trouvé le Times de jeudi arrivé en mon absence. Il contient une lettre importante de Paris et un remarquable leading article, tous deux sur le sujet dont j’ai essayé de parler à Votre Altesse Impériale hier dans le train ; et, comme ils confirment, d’une manière vraiment extraordinaire, l’anxiété dont j’ai parlé à Votre Altesse Impériale et qui oppresse des personnes bien informées, je prends la liberté de les joindre à ma lettre, au cas où ils auraient échappé à l’attention de Votre Altesse Impériale. Le point le plus important me parait être que cette chose alarmante venant apparemment de Paris, je l’ai entendue, il y a au moins trois semaines, comme provenant des sources purement allemandes de Berlin ; et puisque l’alarme causée en France n’est que la fumée d’un feu allumé en Allemagne, puisque, au lieu d’être, comme le dit le Times, une alerte française ou le résultat de la maladive imagination française, cette alarme est causée directement par une personne ou quelques personnes officielles de Berlin, qui ne pourrait reconnaître qu’il y a intention de la part de l’Allemagne d’attaquer la France, maintenant qu’elle est affaiblie ? Nous sommes en face d’un fait d’une importance