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qui avait répandu dans l’Europe entière une émotion considérable. Cette lettre, dont on connaissait la source diplomatique, n’attribuait pas les inquiétudes nouvelles à l’imagination surexcitée des Français. Elle en affirmait la réalité. Le parti militaire allemand estimait que l’indemnité de cinq milliards avait été trop minime ; qu’on avait eu tort de laisser Belfort à la France et que celle-ci se préparait à une guerre de revanche. Ses armemens, peu dissimulés, motivaient des hostilités nouvelles qui auraient pour but de lui reprendre Belfort et de lui imposer une seconde indemnité de dix milliards. La lettre de Blowitz reconnaissait bien que la France conservait l’espoir d’une revanche, mais que ce n’était pour le moment qu’un rêve qui ne devait pas troubler l’esprit d’un homme aussi réfléchi que l’était le prince de Bismarck. L’Assemblée nationale était d’ailleurs aussi pacifique que la Chambre des Communes. Mais certains Allemands pensaient que le meilleur moyen de protéger l’Allemagne et ses conquêtes, c’était d’écraser la France. « Raisonnement aussi faux qu’odieux ! » s’écriait le Times. Le grand journal anglais ne pouvait croire qu’un dessein aussi cynique existât dans la masse du peuple allemand. Il lui paraissait impossible que le prince de Bismarck put sérieusement préparer la guerre et qu’un souverain, tel que l’empereur Guillaume Ier, consentit à la sanctionner ; enfin que la nation allemande put accepter la proposition de détruire un État voisin, tout simplement parce qu’il pourrait devenir agressif. Le Times affirmait que l’origine de ce bruit néfaste provenait des fanfaronnades de l’état-major prussien et peut-être aussi « des vagues menaces qu’avaient laissées tomber des hommes d’État allemands qui attribuaient à la tactique de l’intimidation une valeur diplomatique efficace. » En résumé, d’après le Times qui faisait sienne la lettre de Blowitz, la situation et les intentions de la Prusse pouvaient se résumer ainsi : Même avec les cinq milliards, l’Allemagne n’était pas plus riche qu’avant la guerre. Elle ne pouvait, sans épuiser ses ressources, défendre ses conquêtes devant une puissance qui ne voulait pas les oublier. Aussi, fallait-il en finir avec la France et réparer les bévues du traité de Francfort qui avait laissé à ce pays la faculté de réparer ses ruines et de recommencer la lutte un jour ou l’autre. Le moment était favorable. L’Angleterre, l’Italie, l’Autriche laisseraient faire. La Russie seule pourrait présenter