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avec les ultramontains et de chercher, comme d’Arnim, à l’écarter du pouvoir. Il savait que Bismarck disait n’être pas disposé à laisser aux Français le temps de renforcer leurs effectifs et de devenir menaçans. Il savait enfin que le prince de Hohenlohe avait dit le 25 mars au grand-duc de Bade : « Il est possible qu’on évite la guerre, mais ce n’est pas probable. » D’autre part, notre chargé d’affaires à Munich, Lefebvre de Béhaine, croyait que l’attitude arrogante du cabinet de Berlin était calculée pour fournir en France et en Italie des armes aux partis révolutionnaires, en leur offrant le prétexte de se présenter aux populations comme seuls capables de sauvegarder la paix compromise par les conservateurs et par les cléricaux.

La crise était due à l’impulsion donnée par Berlin à l’Empire pour le maintenir dans un véritable système d’entrainement militaire et satisfaire au besoin fiévreux des Allemands d’affirmer leur prépondérance en Europe. Lord Derby le disait à Charles Havard, notre chargé d’affaires à Londres : « La nation allemande a conscience depuis ses succès qu’elle inquiète tous ses voisins, et elle est poursuivie de l’idée qu’ils s’apprêtent à se coaliser contre elle. » Cette idée n’a pas changé depuis quarante et un ans, et le cauchemar des coalitions hante toujours le sommeil des diplomates allemands. Enfin, Bülow avait confié à Le Flô cette nouvelle menace de Bismarck : « La France se réorganise trop vite, mais nous nous donnerons une garantie. Nous occuperons Nancy. » Lorsque Hohenlohe partit pour prendre possession de l’ambassade allemande à Paris, le chancelier lui dit en propres termes : « Nous sommes intéressés avant tout à ce que la France ne soit pas assez puissante à l’intérieur et assez estimée au dehors pour avoir des alliés. Une République et des troubles intérieurs sont une garantie de la paix. Une forte République est un mauvais exemple pour l’Europe monarchique. » Gontaut-Biron était averti de toutes ces menaces, et il crut bon d’en donner connaissance à son ministre, le duc Decazes qui, comme on le sait, montra en ces graves circonstances autant d’énergie que de sang-froid.

Radowitz, âme damnée de Bismarck, était parti en mission spéciale pour Saint-Pétersbourg afin de hâter les dispositions de la Russie, au cas où l’Allemagne serait obligée de riposter par le fer aux dispositions hostiles de la France. Il avait fait