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resté au pouvoir en France, il eût été impossible d’ajourner la guerre aussi longtemps que cela a eu lieu. Il aurait fallu redouter dans ce cas le rapprochement de deux puissances voisines, que nous avions combattues : l’Autriche et la France, rapprochement opéré sur le terrain de la commune religion catholique. »

Bismarck détestait Gontaut-Biron qui était allé, en mars 1874, passer quelques jours à Saint-Pétersbourg, où il avait de nombreuses et hautes relations, Gontaut s’était efforcé d’enlever tout caractère politique à ce voyage. A la vérité, il y vit Gortchakof, et celui-ci le prévint que le chancelier allemand lui chercherait chicane, mais il ajouta qu’avec de la patience et de la modération on pourrait se tirer d’affaire. « Il ne peut vous faire la guerre, dit-il, en ayant contre lui l’opinion morale de l’Europe et, remarqua-t-il énergiquement, il l’aurait. » Le tsar confirma la déclaration de Gortchakof et reconnut que le prince de Bismarck était un personnage « entreprenant, entier, pas commode. » Il espérait bien toutefois que la paix ne serait pas troublée. Mais il résultait du voyage en Russie que l’ambassadeur français n’avait combiné aucune intrigue avec le chancelier russe contre le chancelier allemand. Le seul fait d’avoir été à Saint-Pétersbourg avait excité les soupçons de Bismarck. Furieux de trouver en Gontaut un diplomate averti et un catholique convaincu, mécontent de sa campagne du Kulturkampf qui tournait mal, cherchant une diversion nécessaire, il jugea habile de faire croire aux Allemands que les Français se préparaient à fondre de nouveau sur eux. Il fallait donc les prévenir et en finir avec ce peuple aussi incorrigible que téméraire. C’est là tout le secret de l’Alerte de 1875.

D’après une légende, dont le major général Braccia di Montone s’est fait récemment l’éditeur, Bismarck n’aurait cherché la guerre que parce que Mac Mahon voulait fortifier Nancy, contrairement à une promesse secrète de M. Thiers. On aurait donné comme prétexte le renforcement de l’armée par les quatrièmes bataillons, pour ménager l’amour-propre des Français, Je dois dire que jamais M. Thiers, ni dans ses écrits, ni dans ses discours, ni dans ses conversations, n’a fait la moindre allusion à une semblable promesse. Jamais il n’est venu du côté de l’Allemagne, comme voudrait le faire croire le major général Braccia, une interdiction dans n’importe quelle forme,