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les maîtres du ballet qui préparèrent la mise en scène mélodramatique dont l’Europe fut régalée quand le rideau se leva sur la France républicaine… Les coupables sont aussi les bandits de la pièce qui organisèrent le spectacle de Paris sanglant, ruiné, affamé ! Il faut accuser enfin la galerie anglaise qui applaudit ces sataniques maîtres de ballet et leur offrit le public devant lequel ils voulurent se pavaner. Je ne puis cacher mon indignation pour les hommes qui, sachant que l’Angleterre n’interviendra pas en faveur de la France et que la France devra se soumettre en fin de compte à l’Allemagne, ne trouvent rien de mieux que d’applaudir aux efforts désespérés de la pauvre victime ! » Aussi, lorsque l’Angleterre interviendra en 1875, — comme on le verra dans cet article, — Bismarck raillera ses efforts pacifistes et écrira à Hohenlohe cette phrase ironique : « C’est en 1870 que ces efforts auraient été à leur place ! »

Les troupes allemandes entrent enfin à Paris. « Cette entrée, remarque Morier, fut une affaire des plus ridicules et en fait une humiliation. » Il ne s’extasie pas, comme l’a fait son collègue des États-Unis, sur la gloriole des Allemands. Il remarque qu’ils se sont contentés de peu, puisqu’on les a parqués dans les Champs-Élysées et qu’un seul échelon de 30 000 hommes y est venu. Il constate que cette entrée a eu pour effet de hâter le vote des préliminaires de paix par l’Assemblée de Bordeaux et il ajoute : « Pour ma part, je n’aurais jamais eu le courage de soumettre l’armée allemande à cette épreuve. » Singulier jugement !… S’il y a eu épreuve, l’épreuve a été pour nous.

On voit que, tout en blâmant les excès de l’Allemagne et l’inertie de l’Angleterre, Morier ne dissimulait pas ses sympathies allemandes, avouant lui-même que ces sympathies l’avaient fait considérer par beaucoup de gens à Londres « comme une sorte de démon. » A son retour à Darmstadt, le grand-duc lui exprima ses regrets de n’avoir pu le décorer, le gouvernement anglais ayant décliné sa proposition à cet égard. « J’aurais aimé cependant, dit-il, vous pendre quelque chose au cou. — J’espère en tout cas, répondit gaîment Morier, que ce ne serait pas une corde ! » Il n’eût certainement pas fait la même réponse à Bismarck. Mais il recevait d’autres marques de sympathie qui le flattaient particulièrement, comme celles qui lui vinrent du roi et de la reine de Wurtemberg. Celle-ci était aussi belle qu’aimable et tenait la beauté de son père, l’empereur Nicolas