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— S’il n’y avait que de vrais chasseurs, le nombre du gibier augmenterait. Mais il y a les marchands de plume et de poil, les braconniers. Inutile de se plaindre ! Nous vivons en un temps ennemi de la loyauté. Le braconnage n’est pas officiellement autorisé, mais il est toléré. Il paraît que c’est démocratique ! Mieux que cela. On vient de juger un braconnier qui a tué un garde ; trois ans de prison. Encore quelques années et on lui donnera le Mérite agricole… Alors, comme cela, ma belle Rolande, tu veux faire la connaissance de Bastien. Je t’avertis qu’il n’est point galant. Ton ombrelle ne te conciliera pas ses grâces. Ce n’est pas cependant qu’il soit sot. Il sait très bien distinguer les visiteurs que le pâturage reçoit. Il a pitié du pêcheur à la ligne, du chercheur de taupes, du botaniste dont les lunettes et le filet à papillon sont du même vert criard. Il ne poursuit jamais les enfans, pourvu qu’ils ne fassent pas trop de tapage .. Mais ceux qu’il hait par-dessus tout, ce sont les gens qui entrent chez lui en rampant. À son tribunal à lui le braconnier n’obtient jamais de circonstances atténuantes… Mais, je cause, je cause et tu trépignes d’impatience. Là, j’ai fini. En route.

Maxime, sur un banc de la terrasse, à l’ombre, achevait un gros cigare en sommeillant. Cependant, il avait promis à Rolande d’être de la partie et il se leva avec un soupir.

Le domaine de Bastien, le grand taureau nivernais, s’étendait sur plusieurs hectares de pâturages. Il était borné du côté du levant par un chemin creux, ombragé de gros noyers luisans ; du côté du Nord, par un petit bois qui escaladait en désordre un coteau ; au Midi, par une haie qui le séparait d’un chaume ; enfin, au couchant, il s’arrêtait tout près de l’Igneraie. Cette vaste prairie recevait la lumière du soleil à tous les momens du jour.

Dans la partie la plus élevée, vers le chemin creux, un très vieux chêne étendait ses rameaux en un large geste de protection et donnait une ombre douce et ronde. Plus bas, bruissait un rideau de peupliers. Une source, tout près, remuait et s’élançait, sur la pente, jusqu’à une petite mare qui servait d’abreuvoir aux hôtes du champ.

Il y avait là deux jumens, quatre poulains, douze vaches, six veaux, deux taurins et le taureau Bastien. Çà et là, quelques seigneurs de moindre importance : une vingtaine de poules, deux coqs et un troupeau de dindons. Tout ce petit monde