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fermement, très honnêtement désireux d’épargner au monde et de détourner de leurs pays respectifs le plus redoutable des conflits. Mais, en dépit de leur bonne volonté, les nuages s’amoncellent, et leurs efforts pour les dissiper n’aboutissent qu’à en alourdir le poids. Le discours de M. Winston Churchill a été le dernier incident qui a jeté sur cette situation des clartés de plus en plus vives. L’émotion, l’irritation qu’on en a éprouvées en Allemagne ont pourtant de quoi surprendre, car ce discours ne contient rien de nouveau. Il y a quelques mois à peine, M. Churchill avait dit exactement les mêmes choses qu’il vient de répéter, et l’Allemagne avait paru ne pas les entendre. Il avait constaté l’échec final de toutes les négociations poursuivies entre les deux gouvernemens pour se mettre d’accord sur la modération des arméniens, et sa conclusion avait été que, toute espérance dans ce sens étant désormais dissipée, il ne restait à l’Angleterre qu’à se tenir au courant des arméniens allemands et à en faire toujours davantage dans une proportion qu’il avait lui-même fixée. Les ministres anglais n’ont pas l’habitude de parler pour ne rien dire, ou pour ne rien faire : leurs paroles annoncent des actes. Ne l’avait-on pas compris en Allemagne ? N’y avait-on pas cru ? Le sentiment violent qu’on vient d’y éprouver et qui ressemble à un sursaut de surprise le donne à penser. M. Winston Churchill n’a pourtant fait que, ce qu’il avait annoncé, rien de moins, mais rien de plus.

Il faut bien croire que le gouvernement allemand ne considère pas la situation générale comme sûre, puisqu’il a pris coup sur coup deux mesures dont l’objet est de renforcer l’une son armée de terre, l’autre son armée de mer. Le gouvernement anglais, conformément à l’annonce qu’il en avait faite, devait donc prendre immédiatement ses-dispositions pour parer le coup. Quoique nous n’eussions rien annoncé de semblable, nous aurions dû faire de même. Aux questions qui lui ont été posées à ce sujet, les réponses de notre ministre de la Guerre ont été faibles et assurément au-dessous de ce qu’exige le maintien de notre sécurité. M. Millerand a été embarrassé par les votes antérieurs des Chambres et par la série de mesures qui, dans un intérêt de popularité immédiate, ont peu à peu affaibli notre force militaire. Il s’était passé quelque chose d’analogue du côté anglais. Le gouvernement actuel, qui est radical lui aussi, n’a certainement pas augmenté la puissance défensive de l’Angleterre et, entraîné par un mirage d’arbitrage, de conciliation, de diminution des arméniens, il a perdu à la poursuite de chimères un temps qui aurait pu être mieux emplové. Mais il s’est ressaisi plus vite que le nôtre, et, la désillusion