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séjour du poète dans l’accueillante maison des Unwin l’eût entièrement délivré de toute trace de ses idées noires : ne le voyons-nous pas discutant avec ses amis l’idée de sa prochaine entrée dans les ordres, — ce qui n’aurait guère été possible si l’ancien pensionnaire de la maison de santé avait continué à montrer des signes trop manifestes de déséquilibre mental ? Hélas ! bientôt une nouvelle catastrophe allait s’abattre sur lui, et détruire à jamais l’heureux effet de cette douce vie d’« enfant gâté » qu’il avait trouvée au presbytère de Huntingdon. Dans les premiers jours de juillet de l’année 1767, le pasteur Unwin mourait subitement, d’une chute de cheval ; et sa veuve avait beau garder auprès de soi le pauvre Cowper, l’emmener avec soi dans une petite ville du voisinage, à Olney, où l’avait attirée le renom du célèbre pasteur John Newton : de jour en jour, sous l’influence du nouveau « choc » qu’avait été pour lui la mort de son hôte et ami, les troubles de naguère reparaissaient dans le fragile cerveau du poète, pour aboutir enfin à une crise à peine moins violente que celle qui, dix ans auparavant, avait motivé son internement à Saint-Albans. Entre les années 1769 et 1776, le recueil de M. Frazer ne nous offre pas une seule lettre de William Cowper. Il y a là, une fois de plus, une de ces lacunes que nous rencontrons de temps à autre dans la correspondance de l’auteur de la Tâche, et qui n’en sont pas l’un des traits les moins singuliers : des arrêts tantôt brusques, tantôt précédés d’une période où les lettres s’espacent, deviennent sensiblement plus courtes, plus banales, parfois presque maussades ; et puis c’est le silence complet pendant des mois, ou parfois des années, et nous devinons que, de nouveau, le malheureux se trouve exclu du monde des vivans !

Mais lorsque ensuite nous le voyons, une fois de plus, renaître à la vie, aussitôt le visage du poète ressuscité recommence à s’illuminer d’un délicieux sourire enfantin ; aussitôt ses lettres nous le montrent revenu à l’état qu’il décrivait lui-même, en 1765, à sa cousine lady Hesketh : convaincu de la « signification » providentielle de l’ « épreuve » qu’il a traversée, et, au demeurant, « parfaitement heureux. » C’est ainsi qu’au sortir de sa crise de 1773 l’obligation où il est de s’occuper de travaux manuels, — pour lâcher à se délivrer d’idées noires qui jamais plus, cependant, ne consentiront à lui laisser de repos, — nous vaut une série de lettres infiniment amusantes, toutes remplies de détails familiers d’une grâce exquise, avec de petits « tableaux de genre » qui font songer aux chefs-d’œuvre d’un Metsu ou d’un Pieter de Hooghe. Ou bien il nous raconte les aventures de ses