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disait alors, moraliste. Dans l’échelle des connaissances il n’y en a pas qui soit supérieure à la connaissance du cœur humain. Or jamais n’en avait-on poussé l’étude aussi avant. Cette remarque de Brunetière est très fine et pleine de conséquences, à savoir que la psychologie des Essais est certes une psychologie, mais uniquement traditionnelle. Toutes les phrases de Montaigne sont autant de souvenirs empruntés aux anciens ; il ne fait, lui moderne, que revêtir de son imagination un fonds psychologique qui appartient à l’antiquité. Les Pensées de Pascal, au premier abord, semblent n’avoir été que découpées dans les Essais. En fait tout y est renouvelé par l’observation directe, personnelle, réelle. — Le XVIIe siècle est artiste : et les théoriciens de « l’art pour l’art » ne s’y sont pas trompés, ayant maintes fois emprunté à Racine, à La Fontaine, à Boileau, des exemples ou des préceptes que d’ailleurs ils détournaient de leur large signification pour les interpréter dans le sens étroit de leur doctrine particulière. — Le XVIIe siècle est naturaliste. Il a pour règle qu’« il ne faut pas quitter la nature d’un pas. » Mais cette nature qu’il imite, il ne la réduit pas à la nature matérielle et physique : il s’attache aussi bien et de préférence aux réalités spirituelles. — Le XVIIe siècle est pessimiste. La Rochefoucauld et La Fontaine, les mondains et les incrédules sont ici d’accord avec les Pascal et les Bossuet : la vie est douloureuse, la somme des maux l’y emporte sur celle des biens et toute la dignité de l’homme consiste à se dégager de ces servitudes ou de cette corruption qui est au fond de lui.

Tels sont, brièvement résumés, les traits essentiels de cette histoire du XVIIe siècle. Composée par Brunetière, enrichie de tout ce que sa pensée n’avait cessé d’acquérir, écrite dans ce style qui, en gardant toute sa force et tout son relief, n’avait cessé de prendre plus de souplesse, d’aisance et de naturel, nul doute qu’elle n’eût égalé l’ampleur, la noblesse et la beauté du sujet. Le livre, tel qu’il est, écho affaibli mais fidèle de la parole du maître, rendra d’incontestables services à quiconque fait son étude de notre littérature. Et l’accueil qu’il a déjà trouvé auprès du public lettré sera un encouragement aux éditeurs qui nous promettent, dans un avenir prochain, l’achèvement de cette œuvre de pieuse restitution.


RENE DOUMIC.