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sucre, matière azotée, matière minérale, un sensible déficit faisait soupçonner le mouillage (que la congélation ou « cryoscopie » aurait trahi tout de suite), mais la teneur en beurre ou en corps gras, trop considérable, discordait avec la constitution de l’ensemble. Notre chimiste agitant le lait avec de l’éther isola facilement le beurre ; il put en étudier le pouvoir réfringent après fusion et en apprécier d’autres capacités que nous ne songeons pas à exposer ici. Ce prétendu beurre était mélangé par moitié de graisse de coco (ou végétaline). Le fournisseur écrémait à fond à la centrifugeuse une moitié de son lait ; il coupait le résidu avec du lait pur ou point trop baptisé et suppléait au beurre éliminé par de la végétaline. Sur ce, clameurs de l’inculpé qui produisit sur-le-champ toute une série de bulletins favorables rédigés par un expert compétent et de toute honorabilité. Ce dernier ne s’était pas trompé, mais jamais n’avait procédé qu’à une analyse en bloc. Heureusement la loi belge prévoit le dépôt d’un échantillon de contrôle au greffe du tribunal : il fut facile de faire retrouver la cocoline par un tiers expert, et le laitier confondu se vit gratifier de deux mille francs d’amende avec affichage et insertions.

Nous voici amenés, par cet incident, à parler des fraudes sur les beurres. Nous avons vu que 99 fois sur 100 la falsification du lait se borne à enlever du beurre (écrémage) ou ajouter de l’eau (mouillage). Avec le beurre la tromperie tend encore à se simplifier et se réduit au simple mouillage. Comme le beurre, en sa qualité de corps gras, ne s’incorpore spontanément que des traces d’eau, on en interpose rationnellement une suffisante quantité au moyen d’un battage bien exécuté. On y ajoute aussi sous forme de sel un « poids mort » complémentaire ; on quadruple carrément la dose suffisante pour la bonne conservation du beurre salé.

Cette fraude, dira-t-on, est innocente ; elle n’offense pas la santé du consommateur, et ne nuit qu’à sa bourse. Encore l’avocat du prévenu peut-il soutenir que la tromperie en question n’est ni prévue, ni punie par la loi. Il faut convenir cependant que l’épicier de la région de Dijon qui débitait naguère à ses pratiques un soi-disant beurre de provenance étrangère à 30 pour 100 d’eau, abusait singulièrement du droit de mouillage et réalisait un bénéfice illicite d’au moins 15 pour 100, attendu que les auteurs compétens estiment la tolérance extrême