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discipline de Fulbert, il entendit parler des miracles de sainte Foy et, en 1013, il résolut de partir pour le Rouergue avec l’écolâtre Bernier, afin de constater lui-même la réalité des récits merveilleux qu’on en faisait.

Ce fut à Aurillac que le culte des statues-reliquaires se révéla aux voyageurs et leur première impression fut nettement hostile. En voyant sur l’autel la statue d’or de saint Géraud, Bernard ne put s’empêcher de dire à son compagnon : « Que te semble, frère, de cette idole ? Ne conviendrait-elle pas bien à Jupiter ou à Mars ? » Ce culte lui parait alors une superstition toute païenne. « Ce n’est pas à tort, dit-il, que les sages y voient un acte superstitieux ; il semble qu’on ait conservé les rites par lesquels on honorait autrefois les dieux ou plutôt les démons. »

Trois jours après, les voyageurs arrivent à Conques et le premier spectacle qui s’offre à leurs yeux est celui de la crypte étroite où s’entassait la foule prosternée devant la statue d’or. « Sainte Foy, prie mentalement Bernard, loi, dont une partie du corps est enfermée dans le présent simulacre, secours-moi au jour du jugement, » et il se retourne en souriant vers Bernier. Il n’est pas encore converti et regarde comme inepte de voir tant d’êtres raisonnables adresser des supplications « à un objet sans parole et sans vie. » Sa prière prouve cependant que son esprit fertile en ressources a déjà découvert le biais qui lui permettra d’admettre le nouvel usage. Bernard et son compagnon ne tardent pas en effet à revenir à d’autres sentimens : le récit des miracles accomplis par la statue et ceux dont ils sont témoins eux-mêmes suffisent à emporter leur conviction. Quand ils reprennent le chemin de leur pays, Bernard, devenu un apologiste du culte des statues, regrette amèrement les lazzi qu’il a lancés à celle de sainte Foy, qu’il avait comparée avec irrévérence « à un simulacre de Diane ou de Vénus. »

Ce témoignage curieux nous montre quelles traces, plus importantes qu’on ne le suppose d’ordinaire, la querelle des images avait laissées en Occident. Sans aller jusqu’à condamner l’art religieux, la plupart des clercs réprouvaient la doctrine transcendantale des images qui régnait chez les Grecs ; elles ne devaient avoir, selon eux, que la valeur d’une commémoration ou d’un enseignement. Agobard, archevêque de Lyon, avait écrit en 825 un livre « contre la superstition de ceux qui croient qu’il faut rendre hommage aux peintures et aux images des saints. »