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tirailleurs lèvent l’impôt d’une province ou vont arrêter un chef targui dans le campement de sa tribu. Leur courage est immense et naïf, ils ne doutent vraiment de rien. Le sergent Malamine refuse d’abattre le drapeau français sur la rive gauche du Congo. Laissé là tout seul par Brazza pour maintenir notre droit de conquête, il arme tranquillement son fusil devant l’escorte de Stanley et somme le journaliste américain de passer au plus vite. Un régiment sénégalais suffit pendant longtemps à nous assurer la possession de Madagascar ; quelques compagnies s’emparent de la Côte d’Ivoire, de la Mauritanie et du Kanem.

Les tirailleurs qui nous servent maintenant ont-ils gardé la même valeur ? C’est ce qu’il faut examiner avec prudence et sans parti pris. Tant qu’a duré l’ère des conquêtes, les engagemens ont été nombreux. Les épreuves endurées, les pertes subies rendaient les officiers indulgens pour les faiblesses de leurs hommes. Les noirs, intelligences tout à fait simplistes, croient que la guerre doit non seulement nourrir la guerre, mais enrichir le soldat : « Peut-être gagner crever, peut-être gagner la vache, » me disait l’un d’entre eux au moment de partir en expédition. Mais, de nos jours, on se bat moins souvent ; les colonnes de pacification prennent le caractère de tournées de police, préparées avec soin et dotées de tous les services accessoires : ambulance, intendance, ravitaillemens de toute nature. On ne fait plus de captifs, on n’enlève plus de troupeaux, la discipline est rigoureuse et l’auxiliaire noir a dû se résigner à ce changement imprévu sans l’avoir bien compris.

Nos premiers tirailleurs sénégalais, de race ouolove, ont conquis le pays bambara. Les Bambaras à leur tour sont venus se ranger sous nos drapeaux et se sont comportés admirablement. Pendant vingt ans ils ont formé la grosse majorité de nos troupes, mais ils ne montrent plus, pour s’engager, leur enthousiasme d’autrefois et les autres familles du Centre africain ne possèdent pas les mêmes qualités militaires.

Notre ancienne colonie du Sénégal est tout entière adonnée au commerce et à l’agriculture. Les Ouolofs et les Sérères qui la peuplent cultivent l’arachide, sont ouvriers, mais ne contractent plus d’engagement. Lorsqu’un maçon arrive à se faire des journées de trois francs, l’idée ne lui viendra jamais d’échanger son salaire et sa liberté contre les vingt-deux sous