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valeur ne s’était exercée qu’aux dépens de populations peu dangereuses, sans armement moderne et sans discipline ; leur endurance paraissait bien surfaite ; ils apporteraient dans l’Afrique du Nord des maladies inconnues jusqu’à ce jour et ne pourraient vivre sous un climat si différent des températures. tropicales ; enfin ils ne seraient pas du tout à leur place au milieu des Berbères dont on suspecterait le loyalisme au point de les faire surveiller par des bataillons de nègres, c’est-à-dire, pour tout Arabe, par des esclaves.

II serait parfaitement inutile de revenir sur cette campagne et de prendre parti dans la dispute. Des facteurs nouveaux sont intervenus, qui permettent de fixer maintenant les limites de temps, d’argent et de lieux. C’est d’abord le recrutement en Afrique des tirailleurs et la valeur des contingens qui sont mis à notre disposition. C’est ensuite l’expérience du bataillon qui, depuis deux ans, tient garnison dans le Sud-Oranais. Enfin, l’expédition du Maroc, à peine amorcée au moment des discussions les plus orageuses, a placé la question sous son vrai jour.


I

Avant d’examiner ces différens points de vue, il n’est pas inutile de discuter une objection qui fut opposée, dès les premiers jours, aux partisans des troupes noires : les Sénégalais ne pourraient vivre en Algérie ; de plus, ils propageraient dans la population arabe les affections qui peuvent se développer avec la filariose. Beaucoup d’indigènes, originaires de l’Afrique centrale, véhiculent dans leur sang des parasites visibles au microscope sous la forme de vers contournés, en perpétuel mouvement. Ces filaires préparent le sujet soit à la fièvre jaune, soit à la maladie du sommeil. C’est là, du moins, une hypothèse assez couramment admise. Toutefois, les bactériologues doivent reconnaître que la filariose se gagne dans certaines régions bien localisées et qu’elle n’éprouve guère l’état de santé des tirailleurs. Dans une des compagnies du bataillon d’Algérie, la proportion des « filariés » dépassait 30 p. 100 de l’effectif, et la plupart d’entre eux comptaient parmi les plus robustes. On en est encore à chercher si la filariose est contagieuse quand on voit un indigène contaminé vivre avec sa femme et ses enfans sans leur transmettre ce prétendu germe d’infection. Admettons