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la substitution qui venait d’être pratiquée. Elle fut si peu soupçonnée que l’année suivante lord Harvey écrivait à Armfeldt : « Ce que vous m’avez confié est en sûreté et à votre disposition. »

Le Régent et Reuterholm durent se réjouir en recevant ce précieux envoi. Ils allaient y trouver les élémens d’accusation qu’ils n’avaient pu se procurer jusque-là, c’est-à-dire toutes les lettres qu’Armfeldt avait reçues depuis son départ de Stockholm jusqu’à la fin de son séjour à Florence et qu’il avait imprudemment négligé de détruire réelles de sa maîtresse, celles d’Ehrenstrom, d’Aminoff, de Gyldensdolpe, le gouverneur du Roi, celles d’Axel de Fersen, qui heureusement pour lui n’était pas en Suède, celles enfin de plusieurs autres personnages avec qui Armfeldt entretenait une correspondance suivie. Tout ce qu’il avait voulu, rêvé, projeté, ses critiques des actes de la régence, ses blâmes contre le Régent, ses railleries a m ères contre Reuterholm, les propos amoureux de Madeleine, la clé du chiffre dont il se servait en lui écrivant et dont elle usait elle-même, enfin ce fameux plan de révolution rédigé plusieurs mois auparavant, en un mot tout ce qui pouvait le compromettre était ainsi livré à ses ennemis. Dans les pages de Fersen, ils pouvaient lire des phrases telles que celles-ci : « Nos cousins de Suède sont fous. » — « L’entourage du duc Régent est indigne de porter le nom de Suédois. » Dans les fragmens chiffrés des missives d’Armfeldt dont il avait gardé les minutes, dans les élucubrations de sa maîtresse, Reuterholm pouvait se repaître des railleries dont il était l’objet. Armfeldt le désignait sous le nom de Son Excellence Cagliostro ; il disait de lui : « C’est un hypocrite, un illuminé, un imbécile, en un mot un fou qui, bien qu’il puisse faire du mal et cela d’une façon dure et altière, n’est ni un méchant, ni un coquin, car il ne possède ni calcul ni adresse. » Des jugemens analogues se trouvaient sous la plume de Madeleine de Rudenschold, mêlés de plaisanteries assurément innocentes, mais que Reuterholm, offensé dans son orgueil, ne devait jamais pardonner.

Au lendemain des premières arrestations, une perquisition avait été pratiquée au château de Lénas en Ostrogothie, appartenant au baron d’Armfeldt. Les papiers saisis dans cette résidence étant d’une date antérieure à la mort de Gustave III, n’avaient fourni aucune charge contre le principal accusé, ni