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domicile. Il s’était attendu à recevoir à la Cour moscovite un accueil exceptionnellement favorable et à y être l’objet de la bienveillance impériale. Il y comptait d’autant plus qu’elle s’était antérieurement manifestée envers lui et que, d’autre part, il recevait de tous côtés des témoignages de l’indignation et de la pitié qu’excitait son malheur. Le Pape lui-même lui avait fait parvenir des condoléances et, pour marquer qu’il désapprouvait la conduite du Régent, il avait refusé de recevoir officiellement Piranesi qui venait d’être nommé ministre de Suède auprès du Saint-Siège. Armfeldt se croyait donc assuré de la faveur de Catherine. Mais l’Impératrice caressait déjà le projet qu’elle essaya vainement de réaliser plus tard et qui consistait à marier l’une de ses petites-filles, la grande-duchesse Alexandra, au jeune roi de Suède. Elle était intéressée à ne pas offenser le Régent et son ministre en ajoutant à la protection dont elle couvrait Armfeldt des faveurs trop apparentes. Alors qu’il espérait recevoir un grade élevé dans l’armée russe ou une haute fonction civile, il trouva l’ordre de ne pas s’arrêter dans la capitale et de se rendre à Kalouga où des moyens d’existence lui seraient assurés. Il ne pouvait qu’obéir et s’y résigna. C’est dans cette petite ville de la Russie d’Europe, à quatre cents lieues de Saint-Pétersbourg, qu’il allait vivre obscurément, entouré de sa famille qui avait été autorisée à se réunir à lui. Cet exil devait se prolonger durant plusieurs années ; il ne cessa qu’en 1798. À cette époque, la régence n’existait plus ; Gustave IV, devenu majeur, avait pris possession de sa couronne, inauguré son pouvoir en renvoyant Reuterholm, avec défense de paraître à la Cour et rappelé à Stockholm les anciens amis de son père.

Tout entier à sa haine, le tout-puissant ministre, en 1794, ne s’inquiétait pas de ce dénouement, que cependant il aurait dû prévoir. Abusant de la faiblesse du Régent, il continuait à en faire le complice de ses perfidies. Il n’était pas parvenu à s’emparer d’Armfeldt. Mais il tenait les comparses de ce qu’il appelait un complot contre la sûreté de l’Etat ; il se flattait, en les frappant, d’atteindre le fugitif. Cependant, il n’avait découvert encore aucune preuve qui permit de les convaincre la conspiration. A la Cour comme dans toutes les villes du royaume où l’opinion s’était violemment émue de cette affaire, on se divertissait de la déconvenue du Régent et de Reuterholm et de leur impuissance à établir la culpabilité des accusés. Aux fragiles