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entrevu la possibilité d’être vil, trouve dans la misère même une nouvelle satisfaction… Je n’agirai jamais comme un traître ; je n’oublierai jamais que j’ai été le sujet et l’ami d’un grand malheureux prince, le père de mon Roi. Mais je dois à sa mémoire et a moi-même de ne pas me laisser déshonorer en subissant sans protester les ignominies les plus féroces et la persécution la plus basse. »

Ce qu’il ne dit pas dans cette lettre, c’est que son irritation provenait surtout de la défense qui lui était faite de prolonger son séjour à Naples. À cet égard d’ailleurs, il était résolu à ne pas obéir ; il le déclara à Lagersvard : son installation dans la capitale des Deux-Siciles était prête et ses dispositions prises en vue d’un long séjour dans cette ville. Plusieurs autres raisons, dont vraisemblablement il ne parla pas à son interlocuteur, l’eussent empêché de se soumettre sur ce point aux ordres du Régent, y eût-il été disposé. Sa femme devait le rejoindre à Naples ; il devait y retrouver la princesse Mentschikoff et lady Anne Hatton. C’est donc en rebelle qu’il franchit la frontière du royaume des Deux-Siciles. Néanmoins, il n’avait pas donné sa démission. Le 1er novembre eut lieu sa présentation au roi et à la reine de Naples.

On sait ce qu’était à cette époque la Cour napolitaine. Comme celle de Danemark, quelques années auparavant, et comme celle d’Espagne, quelques années plus tard, elle offrait le spectacle d’une reine plus puissante que son mari, réduit par elle à n’être rien qu’un soliveau, et d’un ministre omnipotent, qui s’étant rendu maître de son cœur et de ses sens, gouvernait sous son nom le royaume. Le général Acton était à Naples ce qu’avait été Struensée à Copenhague et ce que fut ensuite Codoï à Madrid. Il avait en mains tous les pouvoirs. Son habileté consistait à les exercer à son gré au nom du Roi, en laissant croire à celui-ci qu’il obéissait, alors qu’en réalité il ordonnait.

Beau, entreprenant, aimé des femmes et connu par ses aventures galantes, Armfeldt devait plaire à une reine telle que Marie-Caroline. En outre, elle admirait en lui le serviteur dévoué de Gustave III, fidèle au fils de ce prince comme il l’avait été au père, et qui avait encouru la disgrâce du Régent en blâmant de toutes ses forces et sous toutes les formes ce gouvernement suédois qui ne craignait pas de s’allier à la République française et de scandaliser ainsi tous les princes de l’Europe.