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sont, au point de vue économique, le seul ici qui ait une portée pratique, les raisons d’être de cette institution de la zone franche de la Haute-Savoie, quels sont ses avantages, ses inconvéniens, les motifs actuels qui militent pour ou contre sa suppression ? C’est ce que nous voulons examiner, en prévision du renouvellement prochain de la convention franco-helvétique du 14 juin 1881 relative à cette zone franche. Question économique, question politique aussi : c’est l’aboutissement moderne de l’histoire de la Savoie, notamment dans ses rapports avec Genève et la Suisse, et c’est de cette histoire qu’il nous faut d’abord rappeler quelques traits.


I

Elle a voulu, cette histoire, qu’avant de faire l’Italie, les princes de Savoie, « ces portiers des Alpes, » eussent l’ambition de faire, non pas une France, mais du moins une « Bourgogne. » Pendant trois siècles ils s’agrandirent aux dépens de la France et de la Suisse : c’est Amédée V le Grand, qui acquiert la Bresse et le Bugey et qui, après avoir chassé les comtes de Genevois, prend pied, à titre de « vidomne » épiscopal, à Genève, où l’ont appelé les bourgeois en lutte avec leur évêque suzerain (1290) ; c’est Amédée VI, le « comte vert, » qui prend Gex, Vaud, le Valromey ; c’est Amédée VIII, premier duc de Savoie, — celui-là même qui, retiré à Ripaille après son abdication, devait être pape sous le nom de Félix V, — qui s’annexe le Genevois, et, dans un règne glorieux, voit l’apogée de cette politique « bourguignonne » dont les rois de France, et leurs alliés les Suisses, allaient aux XVe et XVIe siècles ruiner l’édifice et ravir les dépouilles. En 1477, la Savoie perd le bas Valais, le pays de Vaud, le protectorat de Berne et Fribourg. En 1535, après vingt ans de luttes, Genève, révoltée et réformée, chasse son évêque, son vidomne, et, s’érigeant en république, rejette le joug de ces princes de Savoie qui, depuis plus d’un siècle, régnaient sur elle en maîtres, par les évêques leurs créatures, et par leurs partisans dans la bourgeoisie, les « Mamelus. » Ils verront dès lors paralysés par la France tous leurs efforts contre Genève, et leurs provinces du Nord souvent occupées et ravagées par les Suisses. En 1603, au traité de Saint-Julien, le duc Charles-Emmanuel devra reconnaître l’indépendance genevoise,