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Blésille et les Eustochie, celles à qui il dédie ses opuscules d’exégèse ou de controverse, qu’il préfère a tout le reste du public parce qu’il les trouve plus attentives et plus curieuses que les hommes. « Je n’aurais pas besoin de parler aux femmes, dit-il quelque part, si les hommes me posaient des questions sur l’Écriture. » Les théologiens d’alors ont été pour les femmes, dans la plus noble et large acception du mot, des maîtres de pensée et de conscience. Par là ils ont repris, — avec un autre esprit, et avec un succès plus complet, — les efforts tentés deux siècles auparavant par des stoïciens comme Sénèque. En faisant ainsi appel et confiance à l’intelligence féminine, la religion nouvelle allait peut-être plus loin que la philosophie ancienne, mais elle marchait dans le même sens.


De tous les faits que nous avons rassemblés, que se dégage-t-il ? Une conclusion systématique risquerait d’être fausse ; elle offrirait un démenti à la complexité mouvante des réalités, que nous avons au contraire essayé de faire apercevoir. Tout au plus nous sera-t-il permis de rappeler les exemples que nous avons rencontrés du désaccord entre les lois et les mœurs, et du danger qu’il y aurait à juger des unes par les autres : quelquefois, par exemple pour l’administration des fortunes privées, le code édicté des prescriptions rigoureuses dont les femmes, en pratique, savent parfaitement s’affranchir ; parfois au contraire, comme en ce qui touche à certaines professions, les femmes ont tous les droits, mais n’en usent pas. Nous pouvons remarquer aussi que, si les lois sont impuissantes à gêner le cours de l’évolution, les théories ne sont pas très nécessaires à l’accélérer : nous ne voyons pas que les Romaines se soient mal trouvées de ce qu’aucun penseur ou aucun publiciste n’avait solennellement proclamé leurs droits. La force des choses se moque des prohibitions et se passe des systèmes : et c’est ainsi que, chez un peuple qui ne se piquait nullement d’être féministe, les femmes ont eu autant de liberté, d’activité et d’influence, que dans les sociétés qui s’en targuent le plus.


RENE PICHON.